Des filles et des chiens
Sophie Fillières
1991 - 6 minutes
France - Fiction
Production : La Femis, Paris-New York Productions
synopsis
Dans la rue, deux jeunes filles jouent à leur jeu favori : “Qu’est-ce que tu préfèrerais ? Tu préfèrerais… ou… ? »
biographie
Sophie Fillières
Disparue prématurément à l'été 2023 des suites d'une longue maladie à l'âge de cinquante-huit ans, Sophie Fillières (née en 1964 à Paris) aura réalisé sept longs métrages en trente ans, de Grande petite (1994), avec Judith Godrèche, à Ma vie ma gueule, achevé post-mortem et présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes 2024. Entretemps se sont notamment succédés Aïe (2000), Gentille (2005) ou encore Arrête ou je continue (2014).
Issue de la section “réalisation” de la toute première promotion de la Fémis, en 1990, elle avait obtenu en 1992 le Prix Jean-Vigo du court métrage pour Des filles et des chiens, interprété par Sandrine Kiberlain, dans l'un de ses premiers rôles à l'écran, et sa propre sœur, Hélène Fillières.
Elle-même est apparue en tant que comédienne dans plusieurs films, dont Anatomie d'une chute, de Justine Triet, en 2023. En tant que scénariste, elle avait travaillé dernièrement sur les scripts de Garçon chiffon de Nicolas Maury (2020) et Sidonie au Japon d'Élise Girard (sorti au printemps 2024).
Elle était la mère de l'actrice Agathe Bonitzer, née en 1989 de sa relation avec le cinéaste Pascal Bonitzer.
Critique
Au moment où l’on s’apprête à découvrir, en ouverture de la Quinzaine des cinéastes, le dernier film posthume de Sophie Fillières, retour sur l’un des premiers gestes de cinéma de la réalisatrice. Juste avant sa disparition, le 31 juillet 2023, la cinéaste avait terminé le tournage de Ma vie ma gueule, portrait en trois actes autonomes d’une femme à la cinquantaine, jouée par Agnès Jaoui. Film produit par la Fémis, dont Sophie Fillières étrenna la première promotion, après la fin de l’IDHEC, aux côtés de Noémie Lvovsky, Émilie Deleuze et Solveig Anspach, Des filles et des chiens reçut le Prix Jean-Vigo du court métrage en 1992.
Sur la contre-allée d’une avenue du XVe arrondissement, deux lycéennes jouent à “Tu préfères…”. La caméra colle à leur visage, dévoilant derrière elles une perspective dégagée sur la tour Eiffel. Un unique travelling en plan séquence suit leur déambulation à pied. L’une pousse son vélo et se rend chez le dentiste, l’autre l’accompagne. Sandrine Kiberlain et Hélène Fillières, l’air poupin, testent leur amitié à travers ces dilemmes qui dessinent un portrait chinois d’elles-mêmes et de leur amitié.
Ce court de sortie d’école a le style déjà bien affirmé et contient en germe le ton de la cinéaste. Un goût pour le dialogue absurde, poétique et prosaïque joué par des interprètes douces et violentes à la fois. Un sens aiguisé de la psychologie, des recoins sombres de l’âme. Les dilemmes croisent ainsi ambition personnelle, amoureuse ou estudiantine et souci de l’Autre. Peut-on, à dix-huit ans, souhaiter la faillite de son père plutôt que de désirer ne plus jamais être embrassée ? La bonne réponse à certaines questions scatologiques est-elle justement de ne pas y répondre ? Humour et cruauté se côtoient dans les échanges des deux filles, dans leurs moues dubitatives. La légèreté du jeu masque à peine à la gravité des interrogations propres à cet âge des possibles. La façon dont les filles marchent de concert, du même pas et se comprennent d’un mouvement de tête, sans se parler (Sandrine Kiberlain lève le pied, Hélène Fillières tend la roue de son vélo pour qu’elle s’y appuie le temps de refaire son lacet) suffit à raconter l’absolutisme de l’amitié adolescente, l’envie profonde qu’elle dure toujours et la crainte à peine voilée que ce ne soit ne pas le cas.
Raphaëlle Pireyre
Réalisation et scénario : Sophie Fillières. Image : Jean-Marc Bringuier. Montage : Pascale Fenouillet. Son : Pierre-Antoine Coutant. Interprétation : Hélène Fillières, Sandrine Kiberlain et Amélie de Andreis. Production : La Fémis et Paris-New York Production.