Extrait
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Dans le vent

Jacques Rozier

1962 - 8 minutes

France - Documentaire

Production : La Grande Ourse

synopsis

Documentaire sur la mode, la mode des capes ayant fait fureur cette année-là. Mais mouvement logique inverse : de la rue on remonte au studio photo et, encore en amont, à la conception par les stylistes de "Elle".

Jacques Rozier

Jacques Rozier, né en 1926, occupe une place à part sur la photo de la famille Nouvelle vague. Un peu décalé à côté de l’équipe des Cahiers du cinéma, il n’a pas été critique, ayant d'abord suivi des études à l’IDHEC avant de commencer à travailler comme assistant à la télévision. Mais son cinéma, fidèle au tournage en décor naturel, sensible aux pulsations du monde, donnant le sentiment d’être improvisé, préférant à la rigueur d’un récit la mise en place d’une dérive progressive et libératrice des personnages, le situe peut-être au cœur de ce mouvement.

Après quelques courts métrages remarqués (Rentrée des classes en 1956, Blue Jeans en 1958, Paparazzi en 1963), à la fois perfectionniste et pétri de doutes, Rozier n’a signé qu’une poignée de films (Adieu Philippine, 1963 ; Du côté d’Orouët, 1973 ; Les naufragés de l’île de la tortue, 1974 ; Maine-Océan, 1986), mais tous appartiennent aux plus belles pages du septième art.

Jacques Rozier a par ailleurs réalisé de nombreux films de différentes durées et format pour la télévision, mis en lumière lors d’une rétrospective intégrale proposée au Centre Pompidou en 2001, année de sortie de son dernier long : Fifi Martingale

Il s'est éteint le 31 mai 2023 à Paris, à l'âge de quatre-vingt-seize ans.

Critique

Dans le vent est daté de la même année qu’Adieu Philippine, film-manifeste et chef d’œuvre de la Nouvelle vague, qui, avec le sens du contretemps de Jacques Rozier, sera rendu public au Festival de Cannes 1963, quand le soufflet du mouvement initié par Truffaut, Godard, Chabrol et Rivette est déjà considérablement retombé. Dans le vent aurait pu aussi s’intituler “l’air du temps”, tant celui-ci souffle de toute part, dans les rues de Paris comme dans les bureaux du magazine Elle où s’affaire Hélène Lazareff. Le film semble en effet tout occupé à humer cet air du temps par tous ses pores et orifices.

S’il ne dissimule en rien la superficialité, la vacuité, la vanité de cette frénésie pour la mode, Rozier ne s’érige pas en moraliste. Au contraire, on perçoit une curiosité, un attrait, une malice, de l’affection pour cette jeunesse qui s’entiche de ces bottes, capes, coiffes et manteaux surgissant des magazines de mode ou des tendances de la capitale britannique voisine. Jacques Rozier mène cette enquête selon les préceptes de la Nouvelle vague : l’extérieur et les lumières naturelles, la rue et ses passants – surtout, ici, ses passantes -, le présent et ses corps, ceux de la jeunesse avant tout, mais aussi les mots d’une époque – retentit le fameux “C’est bath !”, si en vogue dans les Sixties. Dans le vent est donc un précipité, une prise de pouls menée allegro, au rythme d’un jazz enlevé composé par Serge Gainsbourg, tirant parfois sur la fibre yéyé sans y tomber tout à fait.

Dans ce film court d’un peu plus de huit minutes, on perçoit combien un tel sujet est pour Rozier un terrain d’expérimentation, où se mêlent les formes, les registres, les régimes. En grand amoureux de l’hétérogène, il mène cette affaire tout en ruptures de ton et de rythme. On passe de séances photo avec des mannequins en vogue au documentaire sur le vif (c’est en tous cas ce que semblent indiquer les masquages qui s’invitent dans le cadre), en passant par le collage, renvoi au pop art. On notera aussi le clin d’œil appuyé au cinéma-vérité rouchien lors d’une séquence d’interview dans les rues, avec le micro de sortie dans le champ de l’image. Sans oublier le naturalisme stylisé que compose Willy Kurant dans une superbe photographie noir et blanc. Celle-ci semble souvent préfigurer son merveilleux travail sur Masculin féminin de Jean-Luc Godard (1965) ou encore Le départ (1967) de Jerzy Skolimowski, dont Dans le vent s’apparente parfois à une esquisse follement inspirée.

Arnaud Hée

Réalisation : Jacques Rozier. Scénario : Jacques Rozier et Denise Dubois-Jallais. Image : Willy Kurant. Musique : Serge Gainsbourg. Voix : Jean Lescot et Berthe Granval. Production : La Grande Ourse.

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