Extrait

Crave

Mark Middlewick

2024 - 12 minutes

France - Fiction

Production : Jabu-Jabu, Rikiki Films

synopsis

David, un musicien sud-africain isolé en voyage dans une petite ville balnéaire de Bretagne, rencontre Sébastien dans un restaurant local. Celui-ci, avec son charme naturel, est un professionnel de la séduction. Les deux hommes, en partageant cette nuit, vivent un rare et authentique moment d’intimité, vite menacé par le désir sombre et secret de David.

Mark Middlewick

De nationalité sud-africaine, Mark Middlewick est diplômé en art dramatique de l'Université du Witwatersrand, à Johannesburg. En 2009, il écrit et coréalise avec Samantha Nell et anna-Sofia Nylund un premier court métrage, le documentaire animé A Kosovo Fairytale.

Ayant gagné Los Angeles, où il travaille d'abord comme lecteur de scénarios, il signe deux autres films courts coup sur coup : Security (2014) et The Mascot (2015). Ce dernier a pour tête d'affiche Adrien Brody. C'est en France que le réalisateur tourne en 2024 Crave, sélectionné dans de nombreux festivals, parmi lesquels Clermont-Ferrand, Fantasia (au Canada), Tirana, etc. 

Mark Middlewick a aussi touché au clip, notamment pour le morceau Fog de Nakhane, l'un de ses interprètes de Crave, et au film publicitaire (pour le compte de grandes marques internationales). Il a en outre signé six épisodes de la série TV The World's Strangest Jobs en 2024. 

En qualité de scénariste, il a participé à l'écriture du long métrage Rogue, de MJ Bassett, avec Megan Fox (2020).

Critique

Dans Crave (2024), Mark Middlewick expose une rencontre éphémère des plus étonnantes : l’espace de quelques heures, deux jeunes hommes se côtoient, s’éprouvent même, sans pour autant que cette liaison bien comprise implique un quelconque engagement émotionnel. On découvre d’abord un homme assis seul dans un restaurant : il s’agit de David, un musicien noir sud-africain venu en Bretagne pour donner un concert. Il parcourt de son index hasardeux une assiette maculée de chocolat. Il lèche son doigt, une dégustation gourmande qui sonne comme le présage d’une aspiration buccale ultérieure. Sébastien, un jeune homme breton aux cheveux bouclés, se présente derrière la vitre et signifie sa présence à David. S’enclenche dès lors une discussion à bâtons rompus, où il va moins s’agir de comprendre l’autre que de livrer, à travers un échange verbal en anglais aussi concentré que tentaculaire, un petit quelque chose de chacun. Jusqu’à un acte visiblement prévu et tarifé, provoquant l’irruption du silence. Se révèle au cours du film une réalité à la limite du visible et de l’invisible, de la banalité et de l’étrangeté.

Comme dans l’un de ses films précédents, intitulé The Mascot (2015), le cinéaste sud-africain déconstruit les joyeuses apparences pour révéler les douleurs enfouies. Par petites touches, tout au long de la visite du village et d’une interaction plus privée (y compris chantée) dans la chambre d’une maison d’hôte, des vérités sur les deux hommes affleurent. De David, on accède à différentes émotions : la peur du rejet, la colère contre la domination coloniale, un goût prononcé pour le secret. Sébastien porte les symptômes de l’enfant ayant subi la maltraitance, ou au moins la solitude. Son aisance dans la séduction est trahie par une sensibilité à fleur de peau. Il semblerait toutefois qu’une sensation soit commune aux deux hommes : la honte d’être différent. La mise en scène de Mark Middlewick joue sur des limites qui se révèlent transparentes (la vitre) ou poreuses (la peau), pour créer une relation entre ce qu’on voit et ce qui reste secret (notamment dans les plans montrant un paysage plongé dans l’obscurité). Elle joue aussi sur des plans de visages bord-cadre, comme pour signifier le blocage solitaire dans lequel se trouve chaque être.

Puis-je te payer pour que tu me donnes quelque chose de toi, l’instant d’une morsure ? On peut supposer que c’est essentiellement le sujet des messages échangés, hors champ, entre les deux protagonistes masculins avant même le début du film. Pendant longtemps, la prostitution a été considérée comme la location d’un corps à des fins sexuelles. Ici, la question est plutôt d’ordres social et mythologique, celle du vampirisme contemporain. Le “vampirisme clinique” est un comportement dont la définition médicale reste discutée. Dans le film, ce comportement n’implique pas le sens métaphorique de manipulation qu’il revêt dans son acception psychologique. Au contraire, le film révèle une relation fondée sur le consentement, malgré un élan momentané de destructivité émanant de David, dont la violence est évitée par Sébastien. Sans vraiment se connaître, sans exprimer aucun désir l’un pour l’autre, ils partagent un moment d’intimité ritualisée, loin des regards indiscrets et des normes sociales. David reste sur le seuil à la fin, et une question surgit dans l’esprit du spectateur : et si l’expérience intime revenait, le temps d’un rite hybride, à se heurter aux fantômes de l’autre ?

Mathieu Lericq

Réalisation et scénario : Mark Middlewick. Image : Stef Kwinten. Montage : Jamie Tailor. Son : Matthieu Lefort et Sean Jeffries. Musique originale : Grant Sissons. Interprétation : Nakhane et Thimotée Robart. Production : Jabu-Jabu et Rikiki Films.

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