Colocataires
Delphine Priet-Mahéo
2015 - 11 minutes
France - Animation
Production : Vivement Lundi !, Les Trois ours
synopsis
Camille mène une vie réglée par la sonnerie du réveil matin, les repas de son chat et le son de la caisse automatique du magasin où elle travaille comme caissière. Mais un jour, un homme s’introduit chez elle à son insu et commence à vivre dans sa maison la journée, lorsqu’elle est partie travailler.
biographie
Delphine Priet-Mahéo
Née en 1980 à Rennes, Delphine Priet-Mahéo a suivi des études à l'Université Rennes 2 où elle a obtenu un DEA d'Arts plastiques en 2004.
Depuis 2002, elle s’investit dans diverses activités artistiques telles que l’illustration et la publication tout en participant à des expositions collectives. En parallèle, elle réalise des films d’animation, signant en 2008 Le dormeur et, en marionnettes animées, La petite fille et la mort, suivis en 2012 de Thé et gaufrettes, a nouveau en stop-motion, puis de Colocataires, qui obtient un beau succès en festivals en 2015. Le film obtient entre autres l'année suivante le Prix de la meilleure animation au Festival du court métrage de Téhéran.
Produit par les Films de l'Arlequin, Domus est à son tour sélectionné en 2020 à Hiroshima, Cinanima (au Portugal) et Trickfilm, en Allemagne. Le court métrage suivant de la réalisatice, Le chevreuil (2024), est pour sa part présenté à Anima en à Bruxelles (Belgique), à Bucheon (Corée du Sud), à IndieLisboa (Portugal) et à Odense (Danemark). Il remporte aussi en 2025 le Grand prix du court métrage professionnel au Festival national du film d’animation, à Rennes.
Critique
Delphine Priet-Mahéo joue sur nos peurs les plus profondes en imaginant une histoire d’intrusion se transformant peu à peu en cohabitation. Camille, caissière dans un supermarché, vit seule avec son chat. Un jour, un homme s’introduit chez elle et occupe la maison en son absence, se cachant dès qu’elle revient. Mais il laisse des indices de son passage, qui déstabilisent la jeune femme et finissent par la faire dévier de sa trajectoire toute tracée.
Dans un noir et blanc charbonneux, texturé et vibrant, qui travaille l’épure et le non-dit, on découvre le quotidien – morose et routinier – de l’héroïne. Plus que les situations, ce sont les sons qui semblent rythmer ses journées : la sonnerie du réveil, les miaulements du chat, le piaillement répétitif de sa caisse automatique. Ils forment une bande-son envahissante et anxiogène dans laquelle tout finit par se mélanger. Cette confusion sonore contamine peu à peu son existence, et notamment ses rêves, qui virent aux cauchemars horrifiques.
Son “colocataire”, lui, évolue dans un cadre beaucoup moins structuré, mais qui semble plus apaisé. Comme l’indique en une un journal à sensations, il s’agit d’un “errant” – une expression polie pour parler d’êtres humains qui vivent dans la rue. Il apparaît donc à l’écran sous une forme d’abord furtive (une main qui sort de l’ombre, une silhouette entr’aperçue), puis comme un personnage en mouvement, qui cherche sans cesse à se dissimuler aux regards. Il est délivré d’un certain nombre de contingences : pour lui, pas de réveil, pas de tâches abrutissantes, mais du temps libre, qu’il passe à câliner le chat (le premier qui l’accepte sans a priori) ou à rêvasser dans le fauteuil.
Bien qu’ils ne fassent que se croiser, quelque chose se joue entre les deux personnages, une forme d’apprivoisement qui passe par l’attention que l’intrus porte peu à peu à la vie de la jeune femme. Il remplit son frigo, lave sa robe, fait le ménage. Il devient une présence invisible, et donc inquiétante, mais paradoxalement attentive et prévenante. Lorsqu’enfin les deux personnages se rencontrent, on a alors le sentiment d’assister à un passage de relais : elle a désormais suffisamment confiance en lui pour l’inviter à rester, sans besoin d’en savoir plus.
Sa présence permet aussi à Camille de se remettre en question de son côté, et de rompre avec le cours tout tracé de sa vie. Cette mutation progressive transparaît notamment dans l’apparition de touches de couleur rouge, puis par l’interruption de la routine, et enfin par un dernier plan la voyant renouer avec elle-même. À travers ce parcours initiatique non dénué d’humour, la réalisatrice fustige ce qui cherche à nous séparer en instrumentalisant notre anxiété (comme le fait le journal auquel est abonnée Camille, ironiquement lu par celui-là même qui y est caricaturé en danger public) et propose ainsi un conte métaphorique sur le vivre-ensemble et sur la nécessité de dépasser nos peurs et nos habitudes confortables pour aller au-devant de l’inattendu, de la découverte et – qui sait – du bonheur.
Marie-Pauline Mollaret
Réalisation et scénario : Delphine Priet-Mahéo. Animation : Souad Wedell et Delphine Priet-Mahéo. Montage : Jean-Marie Le Rest. Son : Arnaud Bordelet et Yann Legay. Musique originale : Aurélien Boquien. Voix : Thierry Barbet et Sabrina Horvais-Amengual. Production : Vivement Lundi ! et Les Trois ours.


