Chanson de gestes
Guy Gilles
1965 - 14 minutes
France
Production : Les Films de la Pléiades
synopsis
Guy Gilles s’est promené à travers Paris et dans la campagne avec sa caméra et a pris sur le vif les gestes familiers des passants, des artisans, des ouvriers, des mendiants, et des paysans. Ballet de gestes familiers que l’auteur a su agrémenter d’une optique particulière et originale.
biographie
Guy Gilles
Né le 25 août 1938 à Alger, de sa véritable identité Guy Chiche, Guy Gilles était réalisateur et scénariste, ayant signé à partir de la fin des années 1950 une douzaine de films courts et huit longs métrages, ainsi que de nombreuses contributions à destination de la télévision, notamment pour le mythique magazine Dim, dam, dom.
D'abord assistant de François Reichenbach, il tournait en 1962 un premier long, L'amour à la mer, qui sortait en salles seulement trois ans plus tard. Au pan coupé (1968) et Le clair de terre (1970) suivaient, avant qu'Absences répétées ne remporte le Prix Jean-Vigo en 1972. Plusieurs courts métrages se seront alors intercalés, dont Chanson de gestes, en 1965.
Après Le crime d'amour, qui réunit Macha Méril, Richard Berry et Jacques Penot en 1982, et Nuit docile en 1987, il peina à achever son dernier film, affaibli par le sida. Néfertiti, la reine du soleil sortit en 1994, deux ans avant sa disparition, le 3 février 1996.
Son frère Luc Bernard lui a consacré un film documentaire en 2009, Lettre à mon frère Guy Gilles, cinéaste trop tôt disparu. Le cinéaste Gaël Lépingle a par la suite abordé son œuvre dans un court métrage : Guy Gilles et le temps désaccordé (2008).
Critique
Guy Gilles (1938-1996), cinéaste de la marge mort du sida, demeure aujourd’hui encore trop méconnu, malgré le travail passionné de certains festivals, cinémathèques et cinéphiles. Parmi eux, Gaël Lepingle, qui, avec son beau et sépulcral Guy Gilles et le temps désaccordé (2008), n’a jamais cessé de lui rendre hommage. Venu un peu plus tard que la Nouvelle Vague, cinéaste moins théorique que sensuel, moins narratif que lyrique, Gilles a dans les années 1960 réalisé notamment deux longs métrages, L’amour à la mer (1962), fiction autobiographique qui ne trouvera pas de distributeur, et Au pan coupé (1967) : deux films mal aimés, mal-perçus par une critique alors un brin homophobe (l’accusant de sentimentalisme…) et par un public sans aucun doute déconcerté par son approche art brut, hybride et poétique du cinéma — du Leos Carax avant l’heure, avec un côté Duras dans lequel Duras elle-même se reconnaîtra. Un cinéma du temps, de l’immédiateté hors du temps.
Le cinéma de Gilles est d’abord un cinéma de brocanteur, tissé dans l’instant, noué dans la catastrophe du temps qui passe, drame mélancolique de l’irrémédiable ; un cinéma qui se déploie façon journal intime, de manière kaléidoscopique, sous forme de collage de strates entre essai, fiction et documentaire. Il mélange les tons – tout en ambiguïtés, joie dans la tempête, mélancolie dans l’éphéméride – avec en son cœur un motif récurrent : l’amour-l’amort ; l’amour irréconciliable, donc la mort. Dire que ce cinéma est gai serait mentir, mais dire qu’il touche sans cesse à l’essence, qu’il relève de la nécessité, s’impose comme une évidence à la vision de ce court métrage un peu à part, Chanson de gestes, que Gilles réalise en 1965, alors qu’il est (ou vient d’être ?) assistant-monteur auprès de François Reichenbach, documentariste pionnier de la Nouvelle Vague, couronné en 1964 d’une Palme d’or du court métrage pour La douceur du village.
Produit par Pierre Braunberger (Les Films de la Pléiade), Chanson de gestes semble au premier abord épouser davantage les sillons du documentaire à la manière de Reichenbach (on pense notamment au Petit café) que ceux de ses premiers films poèmes-journaux intimes.
Chanson de gestes, film en trois parties, promenade à travers Paris et dans la campagne, capte le quotidien des choses qui se répètent. Ces choses, ce sont surtout les gestes familiers des passants, des artisans, des ouvriers, des mendiants et des paysans – gestes que la voix off définit de manière presque scolaire et pédagogique. Mais Chanson de gestes conjure la banalité de son sujet et la tonalité souvent édifiante alors dévolue au documentaire, tant par son traitement (cadre moyen) que par la référence à la Bible qui ouvre le film. Épiphanie de la banalité et mystère (que le cadrage accentue) autour du geste dont le sens, selon ceux qui les font et ceux qui les voient, n’est jamais le même. Faire un geste : donner une pièce ou un peu d’amour. Connaître le geste : professionnel, musical, calibré, mesuré et répété (travail de l’ouvrier). Le geste, nos gestes, ont toujours quelque chose à voir avec le “Geist”, l’esprit des hommes. Et c’est bien sur cela que ce court métrage de Gilles se concentre, comme un livre d’images : photographie d’un temps, collection composite et concentrée de corps et d’esprits.
La deuxième partie tranche avec la première consacrée à la promenade. Accompagnant une séquence où l’on voit un jeune homme (Patrick Jouané) dans son appartement, la voix off soutient que les gestes demeurent mystérieux. Or rien n’est moins sûr : se dessine ici sous nos yeux une forme d’autoportrait caché de l’auteur – homme raffiné, habité par le passé, artiste, littéraire, lecteur de Genet, amateur d’art et de cinéma.
La troisième partie s’ouvre sur une comédie en un acte et quelques gestes, tournée façon cinéma muet sur le Pont des Arts : un dernier volet, léger, qui rappelle combien finalement les mots importent moins que le geste (quoiqu’en dise la voix off…) et fait signe vers l’enfance du cinéma, lieu de la mémoire et de l’oubli, de la nostalgie, de toutes les naissances.
Film discret, presque effacé, Chanson de gestes laisse derrière lui ce que Gilles n’a jamais cessé de chercher tout au long de sa vie : dans ces gestes arrachés à l’oubli – la trace sensible du temps.
Donald James
Réalisation et scénario : Guy Gilles. Image : Guy Dhuit. Montage : Jean-Pierre Desfosse. Son : XXX. Musique originale : Jean-Pierre Stora. Interprétation : Patrick Jouané, Monique Lange, Sylvie Sator et Jean-Pierre Desfosse. Production : Les Films de la Pléiade.


