Extrait
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Champ de bosses

Anne Brouillet

2019 - 32 minutes

France - Fiction

Production : Avenue B Productions

synopsis

Camille tombe sur le nez. Une chute bête, apparemment bénigne, mais Camille sent son nez qui bouge, qui pousse, à l’intérieur. La peur de ressembler à Fabio et son grand corps d’adolescent, à sa grand-mère déformée par la maladie, aux cochons du vieux, la saisit. La peur de perdre forme.

Anne Brouillet

Anne Brouillet a grandi en Allemagne, puis en France, entre Touraine et Lorraine. Après des études en lettres et philosophie, elle enseigne en Seine-Saint-Denis et intègre le département scénario de la Fémis, où elle écrit et réalise plusieurs courts métrages d'école, dont Trou, en 2015, et Gigots, coréalisé la même année avec Cécile Paysant et que coproduisent Caïman Productions et Arte.

Parallèlement à son cursus, elle mène un travail de recherche autour de l'improvisation dans le cinéma de la Nouvelle vague. À sa sortie de l'école, en 2015, elle passe quelques mois en résidence à la Villa Médicis avant de co-écrire des courts et des longs métrages avec William Laboury, Marine Atlan, Julien Samani, Yoon Youngchoi, Guillaume Brac ou encore Marayam Goormaghtigh.

En 2018, elle réalise avec l'aide de la Région Alsace et du CNC le court métrage Champ de bosses, produit par Avenue B Productions. Le film remporte le Grand prix du jury pour les courts métrages français au Festival Premiers plans d'Angers en 2020.

Son premier long métrage comme réalisatrice, intitulé pour l'heure Devenir propriétaire, a reçu l'aide à la réécriture du CNC et a été sélectionné dans le cadre des Ateliers d'Angers. Il est actuellement en phase de financement, à nouveau produit par Avenue B Productions.

Critique

C’est une expérience similaire à celle de sa jeune protagoniste qui a inspiré à Anne Brouillet, scénariste de formation et de métier, la réalisation de ce premier court métrage : une fracture du nez qui a modifié sa perception du réel en même temps que celle de son visage. Après une chute anodine et d’ailleurs traitée sur un mode burlesque, Camille (jouée avec justesse par Lise Leplat-Prudhomme, qui a incarné Jeanne d’Arc chez Bruno Dumont) devient obsédée par ce nez qu’elle ne reconnaît plus tout à fait… Le trouble est d’autant plus fort que ses repères vacillent : sa grand-mère est en train de mourir, atteinte d’une maladie jamais nommée et qui l’a défigurée. De plus, Camille entre dans cet âge adolescent où les changements soudains et parfois radicaux du corps ne tiennent plus de la croissance régulière de l’enfant, mais davantage de la mutation. Le moindre incident physique est alors susceptible d’avoir un effet loupe sur n’importe quelle partie du corps, la rendant potentiellement monstrueuse pour peu qu’on s’y attarde – c’est l’angoisse qui la saisit lorsqu’elle touche avec appréhension le nez d’un adolescent du village, Fabio, qui a connu les mêmes déboires qu’elle.

Champ de bosses est ainsi le récit d’une perception du monde en très gros plan, sans que cette valeur de plan n’apparaisse jamais. L’inquiétante étrangeté vécue par le personnage de Camille contamine notre perception de spectateur, et nous pousse à scruter corps et visages pour y déceler un élément qui ferait basculer le film vers le fantastique ou le grotesque, tel un récit littéraire auquel on songe brièvement : Le nez de Nicolas Gogol (1836). 

Si ce court métrage aurait pu porter le même titre que cette nouvelle de l’écrivain russe, celui qu’Anne Brouillet a choisi participe de l’énigme – de quelles bosses s’agit-il et où vont-elles apparaître ? Le plan sur les collines qui entourent le village, et qu’on retrouve plus tard au crépuscule, suggère que le paysage lui-même fait écho au trouble intérieur de l’héroïne. De fait, l’étrangeté qu’elle expérimente est aussi celle d’un environnement qu’elle connaît sans qu’il lui soit vraiment familier, à savoir le petit village alsacien où vivait sa grand-mère avant d’être emmenée à l’hôpital. Les rumeurs sur un éleveur du coin, la présence des porcs et de la forêt, la langue alsacienne incomprise du personnage, les corps et les visages inconnus nourrissent les fantasmes de Camille en même temps que les nôtres. Mais c’est en rencontrant cette altérité qu’elle se réconcilie finalement avec l’étrangeté de son propre corps et les marques des histoires qu’il traverse, champ de bleus et de bosses.

Anne-Sophie Lepicard

Réalisation et scénario : Anne Brouillet. Image : Marine Atlan. Montage : Guillaume Lillo. Son : Benjamin Laurent, Najib El Yafi et Olivier Guillaume. Musique originale : Pierre Desprats. Interprétation : Lise Leplat-Prudhomme, Gabin Milesi, Lucas Erhart, Lorène Houzai Le Goff et Stéphane Irion. Production : Avenue B Productions.

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