Extrait

Calf

Jamie O’Rourke

2023 - 14 minutes

Irlande - Fiction

Production : Jamie O’Rourke

synopsis

Cáit doit prendre une terrible décision tandis qu’elle a découvert son père, agriculteur, victime d’un atroce accident en passe de lui coûter la vie.

Jamie O’Rourke

Jamie O'Rourke est un producteur et réalisateur irlandais. Il a produit le court métrage Under Growth d'Evin O'Neill en 2018, avant d'en signer trois lui-même : Scrap (2021), Calf (2023) et For The Land is Mine (2024).

Scrap a été présenté au Festival de Clermont-Ferrand 2023, tandis que Calf a fait un tour du monde le conduisant à Bruxelles, Busan, Calgary, Dinard, Huesca, Izmir, Londres, Melbourne, Odense, Palm Springs, São Paulo, Tampere, etc. 

Il a remporté en outre l'IFTA (Irish Film and Television Award) du meilleur court métrage en 2024.

Critique

À la suite d’un premier court métrage prometteur intitulé Scrap (2021), le cinéaste irlandais Jamie O’Rourke poursuit son exploration des populations marginalisées dans l’extraordinaire Calf (c’est-à-dire “le veau”), réalisé en 2023. Dans le premier film, il s’agissait de mettre en scène des gens du voyage dans un espace urbain assez hostile. Dans le deuxième, il dépeint la sphère rurale à travers la vision sombre et fantasque d’une famille de paysans. Quatre personnages forment ce cercle familial isolé : un père, une mère, un jeune garçon et une adolescente prénommée Cáit. C’est principalement sur cette dernière que se concentre le film, recueillant ses actions surprenantes et ses émotions contradictoires. Le film rend compte d’un épisode dramatique de la vie de la famille : alors que l’on attend qu’une vache mette bas, le père de famille est victime d’un accident. Le frein à main de son tracteur a été mal enclenché et le père, ne voyant pas le véhicule se ruer vers lui, est littéralement enfourché. La question jaillissant de la situation est double : l’individu sera-t-il sauvé ? Et quelle sera la réaction des autres membres du foyer ? La mise en scène joue sur les contrastes lumineux à l’appui des sources produites par les phares.

Dans une atmosphère plus intérieure et plus quotidienne, on voit la mère de famille s’affairer au moment du petit-déjeuner. Le personnage de Cáit investit le rôle d’intermédiaire : c’est à elle que la mère demande d’aller voir le père pour savoir quand celui-ci souhaite prendre son repas. Elle est donc la première à découvrir ce qui est arrivé. L’homme est visiblement toujours en vie et tente de formuler un appel à l’aide, en vain. Face à la situation, Cáit semble sidérée. Elle ne montre que peu d’empathie. Elle observe et refuse de lui venir en aide. Pourquoi ne réagit-elle pas ? Au-delà de l’argument narratif apparent, il semblerait qu’un enjeu plus invisible se trame. La naissance imminente du veau tient lieu de métaphore : quelque chose doit être “mis au jour”. Rien dans le contenu des dialogues ne nous permet de le dire. Mais la mise en scène, ou plutôt la mise en présence poétique des corps, vient figurer un malaise. Elle met en lumière l’ambiguïté qui jaillit du regard de Cáit au moment où elle découvre le corps mourant du père. Dans la suite du film, le visage de la jeune fille capte en lui-même toute l’étrangeté des silences qui entourent la situation, surtout après la découverte du corps sans vie par la mère.

Les corps filmés peuvent acquérir une valeur politique en ce qu’ils révèlent l’état de conflits larvés, en-deçà des mots et de la rationalité. La fin de Calf est symptomatique de cette capacité de silencieuse traduction dont les corps sont une instance dynamique. Le spectateur perçoit ainsi l’horreur vécue, au moment où les vêtements de la mère sont retirés (maculés de sang du père). En effet, le corps des deux femmes – celui de Cáit comme celui de sa mère – sont recouverts d’hématomes, de bleus, de cicatrices. Autant de signe de plaies passées, en partie refermées. Autant de signes, par-dessus tout, d’une innommable violence subie quotidiennement par les deux femmes. À travers le faisceau d’indices composé par le film, le spectateur comprend mieux l’absence de réaction de l’adolescente au moment où elle a découvert l’accident. La sidération supposée dissimulait en réalité une tentative de salut. Celui qui devait être sauvé se révèle être un ignoble bourreau. Le geste de non-assistance à personne en danger se confond avec un geste de réparation au niveau familial. Jamie O’Rourke refuse tout jugement ; il expose et révèle. Surtout, il invente une forme magistrale de cinéma politique portant sur les harcèlements intra-familiaux à l’appui d’un langage visuel des plus subtilement percutants.

Mathieu Lericq

Réalisation et scénario : Jamie O'Rourke. Image : Colm Hogan. Montage : Simon Smith. Son : Gregory Burrowes, Eoin Gleeson et James Latimer. Musique originale : Orla O'Rourke. Interprétation : Kate Nic Chonaonaigh, Isabelle Connolly, Stephen Hogan, Isaac Fitzgerald et Peter Hayes. Production : Jamie O'Rourke.

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