Boucan

Boucan est le récit d’une métamorphose. On découvre Johannes à quinze, puis à seize ans. Séparés par une ellipse, ces deux chapitres de sa vie la voient faire face à la désillusion de l’amour. Spontanée, maquillée aux couleurs de l’arc-en-ciel et le visage décoré de deux petites lunes, Johannes, quinze ans, est en ébullition de joie, de désir, de sentiment d’injustice lorsqu’elle est punie et ne peut se joindre aux férias qui animent la ville du Gard proche du village où elle habite. Pour son troisième court métrage, nommé aux César cette année, Salomé Da Souza a choisi un étalonnage poussé au maximum, qui joue sur des costumes et des maquillages dont les teintes fluos sont exacerbées et brûlées par le soleil du sud-est. Elle filme une jeunesse naturelle et avec accent, découverte en casting sauvage dans sa région d’origine, comme l’a fait Louise Courvoisier dans le Jura de Vingt Dieux. Caméra à l’épaule très mobile, elle suit le mouvement perpétuel d’un groupe de jeunes à la libido débridée qui n’en finit pas de danser, de s’attraper pour s’embrasser, de danser et de s’enivrer. Le casting naturaliste des jeunes et de leurs parents donne chair à cette communauté qui se connaît depuis l’enfance et la cinéaste conserve son goût de la veine documentaire de son premier film, Génération XY salopes (2017). Formée à la Résidence de la Fémis, Salomé Da Souza est aussi comédienne. Elle s’insinue dans la distribution pour jouer le rôle de grande sœur de Johannes, à mi-chemin entre la morale dispensée par les parents et la bienveillance d’un double. 

Dans la première conversation d’une joyeuse fête de famille où tout le monde se serre sous l’arbre du petit jardin, les oncles et tantes évoquent un couple de retraités terrifié par un taureau qui se serait introduit chez eux. C'est bien le sujet de Boucan : l’animalité qui surgit précisément là où elle n’a pas droit de cité, c’est-à-dire dans la famille. Récit d’un amour aussi brûlant qu’impossible, le film raconte la passion réciproque de Johannes pour son cousin Gabin. Comme ce taureau égaré, cet amour les consume et leur fait peur tout comme il stupéfait le village qui assiste à leur baiser de retrouvailles. Autant que l’art de capter le trop-plein d’une jeunesse débordant de l’envie de vivre et d’aimer, Boucan saisit par sa capacité à transformer sa protagoniste en une version sans illusion d’elle-même, aussi sage qu’éteinte face à la raison des sentiments.

Raphaëlle Pireyre

Réalisation : Salomé Da Souza. Scénario : Salomé Da Souza et Romy Coccia di Ferro. Image : Pauline Doméjean. Montage : Rafael Torres Calderón et Grégoire Pontécaille. Son : Lucas Doméjean, Thierry Ducos, Hugo Rossi et Xavier Thieulin. Interprétation : Marylou Cabanel, Rodrigue Toledo, Salomé Da Souza, Nohan Arnault, Isabelle Bariohay, Laurent Brousson, Manon Caufoppe, Isabelle Escande et Jean Noble. Production : Alta Rocca Films.