Extrait
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Big Bang

Carlos Segundo

2022 - 14 minutes

Brésil, France - Fiction

Production : Les Valseurs, O Sopro Do Tempo

synopsis

À Uberlândia, au Brésil, Chico gagne sa vie en réparant des fours, dans lesquels il s’introduit facilement grâce à sa petite taille. Face au mépris d’un système qui le relègue au rang des marginaux, il entre petit à petit en résistance.

Carlos Segundo

Carlos Segundo est né en 1979 à São Paulo (Brésil). Titulaire d’un doctorat en cinéma et d’un master en psychanalyse, il est professeur à l’Université fédérale de Rio Grande do Norte (UFRN), mais également fondateur de la société de production O Sopro do Tempo.

Réalisateur, photographe et monteur, il a réalisé un premier long métrage, Fendas, qui a connu sa première mondiale au FIDMarseille en 2019. Trois courts métrages l'avaient précédé : Subcutâneo et I Still Bleed Inside (sélectionnés à Clermont-Ferrand en 2016 et 2018) et Atlantic (première mondiale à Visions du réel en 2015).

Carlos Segundo a ensuite collaboré avec la société de production française Les Valseurs sur Sidéral, lauréat du Prix Canal+ à Clermont-Ferrand en 2022 (parmi une soixantaine de sélections au total), et Big Bang, qui y est présenté l'année suivante après avoir remporté le Pardino d'oro à Locarno.

Critique

Il y a dix ans sortait Les nouveaux sauvages, troisième long métrage de l’Argentin Damián Szifrón, sélectionné à Cannes et nommé aux Oscars. Huit ans plus tard, de l’autre côté des vingt-quatre kilomètres de frontière terrestre commune, le réalisateur brésilien Carlos Segundo signait Big Bang, auréolé du Léopard d’or de la compétition “Corti d’autore” au Festival de Locarno. Une chronique sans concession, non sentencieuse, observatrice d’une société minée par les inégalités et la précarité, toujours plus insatiables. Alors l’écho entre ces deux films saisit autant qu’il effraie. Des deux côtés, les systèmes agonisent et les individus sont oppressés, épiés de près par la désespérance. Sans qu’aucun misérabilisme ne suinte, malaise et colère se mêlent. 

En revanche, si Les nouveaux sauvages abritent une forme de sauvagerie contenue qui, à terme, explose sur un ton comique, Big Bang y préfère un registre plus sobre, incarné par le taiseux Chico. Atteint de nanisme, il fait de sa petite taille un atout central à sa profession de réparateur de fours. La réduction verticale de notre champ visuel, nous faisant adopter le sien, sonne alors comme l’évidence novatrice et soucieuse ayant guidé l’écriture de Carlos Segundo. À l’instar de ces plans séquences témoignant d’une réflexion sur la représentation de la trivialité, tant nous les sentons travaillés et précisément agencés. 

Mais la prouesse de ce court réside en sa capacité de rendre explicite l’implicite et, dans le même geste, de faire du silence un cri. C’est la froide répétition formelle des plans-tableaux qui révèle la fatalité d’une rengaine quotidienne dans un Brésil éteint et fade, empêchant et étreignant. C’est l’attitude détachée de Chico qui traduit une blessure dans sa chair, causée par de multiples actes discriminatoires et un déni paternel subi. C’est, enfin, le raccord organique entre le feu dévorant des bûches et l’eau laiteuse débordant d’une baignoire, qui construit une phrase, un murmure : depuis le fond du four monte, incoercible de légitimité, une expression de ras-le-bol qui se voit ralentie par la détente et la purification qu’apporte un bain. 

Dans cette solitude étouffante et destructrice, c’est peut-être la rencontre de l’altérité qui permettra alors à Chico de s’en sortir. L’interactivité avec une femme racisée aide-cuisinière dans “ses” maisons de riches, qui va s’agenouiller pour entrer dans le cadre, occupe un tiers du film et replace en son cœur l’échange de mots jusqu’ici si absent. Preuve en est de l’importance pour chacun d’être écouté et, plus encore, qu’une force insurrectionnelle commune peut s’établir par ce biais. C’est le “on” que Marta emploie qui fait l’union et qui allumera la mèche, celle-là-même à l’extrémité du feu de Bengale que brandissait déjà la jeune fille à la fin de Sidéral, précédent court du réalisateur. 

Alliant en filigrane constat sombre et note d’espoir, Big Bang est de ces films magnétiques qui interpellent, car forts de véracité et cruellement utiles. Une scène de danse, qui n’a rien à envier à celle de Denis Lavant clôturant Beau travail (Claire Denis, 2000), concentre justement cette dialectique et réinstaure un peu de poésie dans ce train de vie en manque. Alors, quand tant de choses sont dites avec si peu, est-il nécessaire de rappeler que ces deux mots, “big bang”, désignent l’explosion qui créa l’univers en lui-même ? 

Lucile Gautier 

Réalisation et scénario : Carlos Segundo. Image : Roberto Chacur. Montage : Jérôme Bréau. Son : Nemer Jose De Castro, Antoine Bertucci et Vincent Arnardi. Interprétation : Giovanni Venturini et Ariadne Amâncio. Production : Les Valseurs et O Sopro Do Tempo.

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