
Anapidae (appelle-moi)
Mathieu Morel
2024 - 38 minutes
France - Fiction
Production : Venin Films
synopsis
Au cimetière des Naarièges, Mino garde les portes, veille les morts et les endeuillés. Autour de lui un fantôme, une veuve et une immense araignée. Ils s’affairent, s’affolent et bourgeonnent, en mal d’amour.
biographie
Mathieu Morel
Mathieu Morel a grandi dans la Beauce, en Région Centre, où il a créé Rabbit Hole, un collectif avec lequel il a fait, de façon autodidacte, ses premiers courts métrages. En 2014, sa rencontre avec Léolo Victor-Pujebet conduisit à la fondation de l’association Horschamp.
En 2018, il intégrait le programme de La Résidence de La Fémis, où il réalisait Aussi fort que tu peux. Depuis l'obtention de son diplôme, il a été particulièrement prolifique, réalisant de nombreux courts et moyens métrages, dont La belle et la bête et The Deep Queer Massacre, tous deux produits par Local Films.
Anapidae (appelle-moi) a suivi de près en 2024, produit par Venin Films et interprété notamment par Thomas Ducasse et la réalisatrice Fabienne Berthaud.
Critique
Financé par Venin Films, foisonnante et expérimentale société de production créée depuis 2020 notamment par Bertrand Mandico et Yann Gonzales, Anapidae (appelle-moi) est le dernier moyen métrage de Mathieu Morel. Le cinéaste ajoute une nouvelle partition romantique à sa filmographie envoûtante et vénéneuse, qui trace déjà une insolite ligne forte dans le paysage du court métrage en France. Mino, incarné par Thomas Ducasse, fascinant échalas et version émaciée de Bruce Campbell dans Evil Dead (Sam Raimi, 1981), gardien d’un cimetière, vit dans un garage accolé aux tombes qu’il s’est aménagé telle une crypte. C’est là qu’il projette sur un drap blanc, comme un vampire reclus, des films de fleurs capturées en super 8 par une badaude parmi les caveaux (Fabienne Berthaud, qui fait une apparition pour déclarer son amour à l’érotisme de la pellicule). Jusqu’au jour où une femme (Julie Morel, sœur du cinéaste) se rend sur la sépulture de son défunt mari, ami d’enfance de Mino. Elle se noie maladroitement dans ses propres mots quand lui reste essentiellement mutique. À ce trio qui se forme peu à peu entre le gardien, la veuve et le mort, s’ajoute une invitée surprise, immense araignée qui vit elle aussi dans le cimetière, animal de compagnie démesuré et inquiétant. Très vite, on apprend que Mino et l’homme décédé entretenaient une passion secrète à distance, un désir estropié et empêché, immobilisé dans un cocon, une homosexualité refoulée derrière les conventions.
"Entendez-vous aussi la voix du mort ?", nous demande le film dans son ouverture, comme un horizon vers lequel il se promet, à vouloir faire ressurgir les cadavres qu’on ne peut cesser d’aimer, jusque dans les rêves nécrophiles, visions cauchemardesques et troublantes d’un possible amour charnel par-delà les mondes. D’une profonde noirceur, Anapidae (appelle-moi) n’est en revanche pas dépourvu d’humour, encore moins de douceur. C’est ainsi que la chanson de Jeane Manson Vis ta vie, entendue à deux reprises, résonne comme un dernier chant d’appel pour pouvoir littéralement passer à autre chose. C’est ce que font les plans tout au long du film : se télescoper les uns dans les autres comme des cris. Ils perforent le récit à la manière d’un found footage, comme si l’on avait trouvé une vieille VHS coincée dans les mauvaises herbes qui envahissent les tombes, ce qui provoque des altérations de l’image et du son. Curieusement, avec toutes ses secousses, le film laisse derrière lui une sérénité bouleversante. À chercher coûte que coûte la voix des morts, on aura enfin entendu celles des vivants.
Arnaud Hallet
Texte paru dans Bref n°130, 2025.
Réalisation et scénario : Mathieu Morel. Image : Till Leprêtre. Montage : Noémie Fy. Son : Olivier Laporte, Yannis Do Couto et Xavier Thieulin. Musique originale : Maurice Marius. Interprétation : Thomas Ducasse, Julie Morel et Fabienne Berthaud. Production : Venin Films.