Extrait

Amour océan

Héléna Klotz

2022 - 30 minutes

France - Fiction

Production : Superstructure

synopsis

Jeanne, 17 ans, passe ses derniers jours de vacances dans la chaleur de la fin du mois d’août. Ce matin, avec Camille, sa petite sœur, elles ont décidé de fuguer de la caserne où elles habitent avec leur père pour aller voir l’océan une dernière fois. Sur la plage, Jeanne fait la rencontre d’un jeune surfeur. Il est beau, il l’intrigue. Jeanne sent un étrange désir monter en elle.

Héléna Klotz

Née le 6 décembre 1979, Héléna Klotz est la fille du réalisateur Nicolas Klotz (dont elle a été assistante-réalisatrice sur La blessure, en 2004).

Elle débute sa carrière de cinéaste en 2003 avec un court métrage présenté au Festival de Locarno et primé à Aix et Créteil, Le léopard ne se déplace jamais sans ses taches, avant de réaliser des bandes-son pour le théâtre et de travailler au casting de plusieurs films.

Elle signe en 2011 un moyen métrage intitulé Val d'or, qui devient l'année suivante un long, sous le titre de L'âge atomique. Présenté au Festival de Berlin, où il remporte le Prix de la Fipresci, il remporte ensuite le Prix Jean-Vigo et le Grand prix du Festival Premiers plans d'Angers. Remarqué par la critique, il met en scène Niels Schneider alors à l'époque de ses débuts.

Héléna Klotz intervient comme collaboratrice artistique sur Dheepan de Jacques Audiard, Palme d'or du Festival de Cannes 2015, puis sur le scénario de Madeleine Collins d'Antoine Barraud en 2021.

Elle revient alors au format court avec Amour océan, sélectionné en 2023 au FIFIB, à Bordeaux, et à Côté court, à Pantin. Un nouveau long métrage, La Vénus d'argent suit de près, distribué en salles en novembre 2023 et interprété par la chanteuse Pomme (Claire Pommet).

Elle a par ailleurs signé un clip pour Philippe Katerine, en 2016, autour du morceau Moment parfait.

 

Critique

La caméra est d’abord immergée, portée par le ressac irrégulier. Peu à peu, elle gagne la surface, et “Amour océan” apparaît bientôt entre deux vagues, à moitié inscrit sur un ciel estival pastel. Ce titre ouvre sur un infini à la hauteur de l’inatteignable qu’il promet. Il fait rêver autant qu’il assomme, dans ce paradoxe propre à l’été, saison mère de ce court métrage. La voix exaspérée de Jeanne nous ramène soudain sur la terre ferme, rompant l’onirisme dans un raccord aussi fluide que râpeux, aussi poétique que terre-à-terre. Camille refuse de porter les courses de son père un mètre de plus. Jeanne, visiblement blasée par le comportement larmoyant de sa petite sœur, la supplie de se bouger. Cet incipit immersif et in media res n’est pas sans rappeler celui du magnifique premier long métrage de Paloma Sermon-Daï Il pleut dans la maison (primé à la Semaine de la critique en 2023), où déjà la chape de chaleur écrase, et où la relation fraternelle et complice des protagonistes se révèle dès les premières secondes, dans une efficacité réconfortante. Un pick-up lancé sur la route en bordure dépasse les deux sœurs. Un regard s’échange au vol entre Jeanne et l’un des passagers. Un instant suspendu qui n’appartient qu’à eux, et dans lequel quelque chose vient de naître… quelque chose qui aspire à devenir.

Mais pour l’heure, l’idylle estivale est priée de rester à l’extérieur : la grille de la caserne de CRS dans laquelle elles vivent se referme. Le soleil devient tapant, la lumière rasante, et l’innocence juvénile s’efface, laissant place à des sens en alerte. Très vite alors, se dévoile le cocon que ces deux sœurs se sont elles-mêmes tissées, avec le temps, entre deux posters d’Olivia Rodrigo et Eva Queen. Une intimité d’autant plus précieuse qu’elle s’est construite dans le vide laissé par une mère absente et le rejet d’un monde clos, masculiniste et patriarcal. Dans la cuisine, Jeanne sert son père, tout juste rentré du travail, encore imprégné de lacrymo. Il avale le plat sans daigner lancer de “merci”. L’air est électrique, la tension palpable. Et le ras-le-bol, compréhensible. Alors, ce film se fera le témoin de l’étape d’après. Celle où l’échappée, jusqu'ici dormante et rêvée, se met en mouvement. Un désir d’évasion en analogie filée avec celui d’émancipation. C’est l’adolescence en résistance.

À hauteur de pieds et de roues de vélo, la caméra s’échappe avec les deux sœurs, sans hésiter, dans une aube timide. À elles les grands espaces, les dunes, la mer, l’horizon à perte de vue, l’avenir encore fécond et prometteur. Entre l’ivresse et l’ennui, les ellipses rythment le montage comme autant de preuves d’une complicité sans faille entre ces deux jeunes filles. Sur la plage, soudain, le groupe de surfeurs repéré plus tôt fait son entrée. La photographie est digne d’une carte postale, accentuée par des ralentis comme pour suspendre un peu plus l’instant, le figer dans la rétine de Jeanne. Malgré un premier échange mortellement banal, le désir s’éveille et l’exploration de l’identité, notamment queer, s’installe en filigrane, en toute subtilité. La mer en arrière-plan, le ressac comme pulsation, Héléna Klotz filme avec brio des regards qui déclarent et des silences qui désirent. 

Mais déjà, le soleil décline et avec lui le sentiment de liberté, le rêve à peine consumé. Le retour à la caserne s’impose, implacable. Quelques minutes d’idylle supplémentaires, dans le car qui les ramène : ce sas où tout est encore possible et où tout se passera. Le temps s’y dilate, les corps se rapprochent, se désirent, se touchent, s’enlacent. À l’abri des regards, le morceau de Wu Lyf Dirt partagé dans les oreilles, le souffle de fraîcheur et d’urgence du film nous enveloppe une dernière fois. Prolonger l’été et, dans cette extension, commencer à vivre enfin.  

Lucile Gautier

Réalisation : Héléna Klotz. Scénario : Héléna Klotz et Marie Amachoukeli. Image : Victor Seguin. Montage : Daniel Darmon. Son : Clément Ghirardi. Musique originale : Ulysse Klotz et Florian Le Prise. Interprétation : Mathilde Dupont-Corbrand, Louison Bejaoui, Eva Bouet et Arnaud Rebotini. Production : Superstructure.

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