Extrait
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Almost a Kiss

Camille Degeye

2021 - 29 minutes

France - Fiction

Production : Société Acéphale

synopsis

Une jeune femme munie d’un sac à dos camouflage traverse une ville de province déserte et sa périphérie. Une fois arrivée à destination, un étrange protocole de deuil l’attend.

Camille Degeye

Née en 1990, Camille Degeye est diplômée du Master réalisation de l’Université Paris-8. En 2013, elle intègre les laboratoires et collectifs L’Etna et l’Abominable, où elle se forme en autodidacte au travail du cinéma argentique.

Ses trois premiers films, Pour tout bagage on a vingt ans (2015), Burûq (2016) et L’esseulé (2018), ont été montrés dans des festivals internationaux tels que le Busan International Short Film Festival (Corée du Sud), l’EIFF Edinburgh International Film Festival (Royaume-Uni), les Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie) et primés en France et en Italie.

Son court métrage Journey Through a Body (2019), portrait politique et poétique d’un artiste face à la précarité, a été sélectionné à la 58e Semaine de la critique à Cannes en 2019, ainsi qu’à Locarno Filmmakers Academy, à DocLisboa et au Mécal. Il a aussi remporté le Grand prix du Vilnius Film Festival Kino Pavasaris en 2020. 

Camille Degeye commence alors à développer son premier long métrage de fiction, Sphinx, Prix “Next Step” 2020 décerné par la Semaine de la critique de Cannes, et mène à bien Almost a Kiss, tourné en 16 mm et qui obtient le Prix André S. Labarthe au Festival Côté court 2022 avant d'être présenté à Clermont-Ferrand au début de l'année suivante.

Parallèlement, la cinéaste enseigne à l'Université Paris-8 et fai partie du collectif La Clef Revival.

Critique

Un masque chirurgical sur le visage, un bonnet vissé sur la tête et un sac en treillis sur le dos. Quelle est donc cette silhouette insolite ? Une militaire en mission, une errante esseulée ou une samouraï silencieuse ? Cette jeune femme, aux contours mystérieux, c’est Camille Degeye, la cinéaste elle-même, qui vient chercher les cendres de son père en province. Munie de son téléphone portable pour se guider, petite cartographie lumineuse, l’héroïne arpente une ville dépeuplée. Elle traverse des ruelles, des boutiques abandonnées et des parkings désertés. Le crématorium, un lieu chargé de sentiments, se trouve paradoxalement dans une zone industrielle, c’est-à-dire un espace de transit résolument trivial. Sur la devanture s’inscrit une citation humaniste de Winston Churchill : « Montrez-moi comment une civilisation honore ses morts et je vous dirai quelle est la morale de ce peuple. » ; pourtant, ce crématorium n’est jamais montré comme un espace réconfortant, mais plutôt protocolaire. C’est un univers composé de signes, d’imprimantes et d’attestations. 

Avec Almost a Kiss, Camille Degeye poursuit son exploration, non sans humour, de l’aberration inhérente à certaines procédures administratives. Dans le politique Journey Through a Body (2019, cf. Bref n°125), c’était la CAF qui cherchait à trouver des failles, tout en occultant la précarité du bénéficiaire. Il est ici question du parcours presque bureaucratique, sans affect, pour récupérer une relique foncièrement intime. On pense alors à Jacques Tati dans l’accentuation des bruitages ironiques d’un énième carton à remplir (la boîte dans une boîte) ou l’absurdité visuelle véhiculée par ce seul fauteuil vide dans une grande salle d’attente. 

Dans cette expectative saugrenue, justement, l’héroïne investit le lieu avec d’autres mots, un poème de Simon Johannin évoquant la mort comme une transmission. Ce poème nous propulse dans l’intimité d’un appartement à travers un flash-back éthéré. S’amorce alors une dérive mélancolique et introspective. Les objets, les livres, les amis permettent de consoler d’autres formes d’incommunicabilité : les peines sentimentales (par l’entremise de messages) ou familiales. Le film oscille brillamment entre l’implication morale dans le monde extérieur et les retraits intérieurs, confinés et solitaires. Tournée en pellicule, la photographie granuleuse ajoute cet effet mémoriel, comme si dans ces images qui défilaient, on consultait une vieille photo de famille, celle d’un instant qui appartiendrait déjà aux souvenirs. Une fois à l’extérieur du crématorium, Camille retire néanmoins son masque, comme le symbole d’une respiration retrouvée, tout en se tenant droite, pour ne pas que tout bascule. 

William Le Personnic 

Article paru dans Bref n°128, 2023.

Réalisation et scénario : Camille Degeye. Image : Robin Fresson. Montage : Valentin Féron. Son : Luc Chessel et Romain Ozanne. Musique originale : Frédéric D. Oberland. Interprétation : Camille Degeye, Annebelle Bouzom et Pauline Fleau. Production : Société Acéphale.

À retrouver dans

Bonus

Entretien avec Camille Degeye au festival Côté Court