
2020 - 14 minutes
France, Belgique - Fiction
Production : Apoptose, Origine Films
synopsis
Le fils a écrit une bande dessinée sur son enfance. Il l’a envoyé à son père qui vit dans le sud depuis des années. Mais le père n’a pas tellement eu envie de lire cette histoire dans laquelle il se retrouve à poil dans une case sur deux.
biographie
Jean-Benoît Ugeux
Né en 1975 à Uccle, en Belgique, Jean-Benoît Ugeux a obtenu un master en lettres romanes et philosophie à l’université de Louvain-la-Neuve en 1996, avant d'entrer au Conservatoire royal de Liège la même année. Très rapidement, il collabore sur différentes créations théâtrales, avec des auteurs tels que Wayn Traub ou Anne-Cécile Vandalem.
Au cinéma, il débute sa carrière vers 2003, notamment avec Folie privée moyen métrage de Joachim Lafosse, et tourne dès lors avec de nombreux réalisateurs, à la fois sur des formats courts et longs : Emmanuel Marre (Le film de l'été, 2017), Marie Amachoukeli et Claire Burger (Demolition Party, 2013), Michaël R. Roskam (Le fidèle 2017, pour lequel il sera récompensé du Magritte du meilleur second rôle l'année suivante), Gustave Kervern et Benoît Délépine (I Feel Good, 2018), Jules Follet (Mal caduc, 2019 ; Comment faire pour deux, 2020), Olivier Babinet (Poissonsexe, 2020), etc.
C'est en 2011 qu'il fait ses premiers pas de réalisateur, à travers une œuvre expérimentale, composée de trois vidéos réalisées sur plusieurs années avec une caméra numérique : Valeurs. Suivent alors deux fictions : Eastpak, en 2017, et La musique, en 2019. Ce dernier, qu'il interprète également, reçoit notamment le Bayard d'or du meilleur court métrage au Festival international du film francophone de Namur en 2019.
Il enchaîne avec Abada, sélectionné dans de nombreux festivals (Clermont-Ferrand, Pantin, Nice…) dans les conditions sanitaires particulières de l'année 2021. Ce contexte lui aura d'ailleurs inspiré un documentaire, le court métrage Belgium-20, filmé durant le confinement du printemps 2020.
Ce film est suivi d'une nouvelle fiction, Fratres (2021), tourné en Auvergne et qui lui permet de retrouver l'un de ses comédiens d'Abada : Pierre Sartenaer. Prolifique, il signe ensuite un documentaire expérimental, Arbres. Celui-ci est primé aux Magritte du cinéma et au FIFF à Namur, en 2022-23.
Critique
Le lien père-fils est au cœur de l’œuvre de réalisateur de Jean-Benoît Ugeux. Un sillon qu’il creuse à nouveau dans Abada. Un paternel et son fiston cohabitent le temps du film, et tentent de renouer un lien distendu, de combler des manques. C’est un ballet du chat et de la souris dans les dialogues, entre l’aîné plus évasif et le cadet plus frontal. Ce regard sur la tentative de reconstruction d’une relation, mise à mal par le vécu partagé insatisfaisant, est émouvant. Une émotion ténue, car jamais dans le chantage au pathos ni dans la surcharge. La mise en scène est directe, et l’entrée dans le récit se fait au cœur d’une conversation entre les deux hommes, dans un café. Comme par effraction, le spectateur débarque en plan fixe sur le garçon, au son off du papa, avant de découvrir ce dernier en contre-champ. Simple, mais percutant. Les discussions louvoient au long de sujets divers, mais, comme toujours, en racontent beaucoup.
La pudeur transpire de chaque scène. La gêne de parler du cœur des enjeux pour le père, les pauses entre les lancements de débat pour le fils. Tout est question de point de vue dans le relationnel et le passé commun. C’est ce dont les protagonistes font les frais au gré de leurs échanges. C’est aussi ce que construit le cinéaste, en cadrant les deux corps dans le même plan, dans la rue, dans les logements Airbnb géré par le paternel, en voiture, au parc, sur un canapé ou en terrasse. Les deux gars traversent ensemble l’espace, les lieux, les situations, et partagent des expériences, que chacun vit à sa manière. Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent être au premier coup d’œil. Le règlement de comptes n’en est finalement pas un. Un livre s’avère renfermer un pilulier. Le cancer est-il vraiment là ? La communauté d’il y a trente ans était-elle vraiment insupportable ? La fameuse “Abada”.
Dans la peau des héros, Douglas Grauwels et Pierre Sartenaer excellent. Sans air de famille évident, ils réussissent, sous l’objectif d’Ugeux, à faire croire à l’affiliation génétique. Sans rien dire, en écoutant simplement, à distance de la caméra, un air d’opéra, ils installent la réalité d’un instant de réunion. Banal, mais finalement chargé de symbole. Car c’est Una furtiva lagrima par Caruso, tiré de L’élixir d’amour de Donizetti, que l’on entend. “Une larme furtive”, à l’image de ce court sensible dans sa concrétude, qui désacralise le poids officiel, justement, en faisant chanter à ses hommes Le zizi de Pierre Perret, après avoir apprécié un grand classique. Concret aussi comme le dernier échange, où le fils évoque l’invisibilité des bébés pigeons. Ils sont finalement bien visibles eux deux, sous la lumière de Carpentras. Et le lien qui les unit aussi.
Olivier Pélisson
Réalisation et scénario : Jean-Benoît Ugeux. Image : Florian Berutti. Montage : Jeanne Plassier. Son : Elton Rabineau, Grégoire Chauvot et Xavier Thibault. Musique originale : David Atria. Interprétation : Pierre Sartenaer et Douglas Grauwels. Production : Apoptose et Origine Films.