Extrait
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A Summer Place

J-24

Alexandra Matheou

2021 - 22 minutes

France, Grèce - Fiction

Production : La Cellule Productions, This is the Girl Productions

synopsis

Tina vit et travaille à Limassol, une ville balnéaire au sud de Chypre. Autrefois paisible, celle-ci est en passe de devenir le nouveau paradis méditerranéen des oligarques russes. À la fois actrice et victime de ce changement, Tina est dans l’impasse. Jusqu’à ce qu’une rencontre imprévue avec une autre femme se révèle être un véritable bouleversement.

Alexandra Matheou

D'origine chypriote, Alexandra Matheou a étudié à Londres, au Kinghs College, puis à UCL, où elle a obtenu un master en érudes cinématographiques. 

Elle a réalisé plusieurs courts métrages : Grief is a Place None of Us Know Until We Reach It (2018), Le dernier jour (2019 – effectivement tourné le 31 décembre…), Tragedies Come in the Hungry Hours (2020 – qui se déroule pendant le confinement du printemps de la pandémie de Covid-19).

A Summer Place, finalisé en 2021, est une coproduction entre Chypre et France, qui aura été sélectionnée dans une multitude de festivals, remportant notamment le Prix du public à São Paulo (Brésil), celui de la meilleure actrice à Drama (Grèce) et une mention spéciale du jury à Villeurbanne.

Alexandra Matheou est aussi photographe, dont on peut voir un aperçu du travail sur son site personnel.

Critique

Tina, la trentaine, vit à Limassol, ville balnéaire touristique du sud de Chypre sur laquelle des dizaines de milliers d’oligarques russes ont jeté leur dévolu ces dernières années. Sur cet îlot de ce fait surnommé “Limassolgrad”, la jeune femme exerce son job de food stylist, autrement dit photographe culinaire. Le métier doit bien exister depuis qu’on imprime de la publicité, mais le twist contemporain des réseaux sociaux a augmenté sa réalité. À l’ère de la mise en scène de soi, Tina officie également IRL (“in real life”, ndlr), hors des studios, pour mettre en scène, telle une véritable décoratrice, les buffets d’événements mondains, dûment documentés à l’Iphone par les hôtes richissimes et publiés sur leurs comptes Insta chamarrés. D’ores et déjà, Tina vient prendre une place toute trouvée dans la famille des métiers du capitalisme tardif, aux côtés par exemple de sa cousine Cassandre, l’hôtesse de l’air de compagnie aérienne low-cost déshumanisée, évouqant celle qu’incarna Adèle Exarchopoulos en 2022 dans l’ingénieux Rien à foutre de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre.

Pour son quatrième court, le premier à être présenté dans de nombreux festivals internationaux1, la réalisatrice chypriote Alexandra Matheou dresse le récit d’un dégoût, la traversée d’un état dépressif ouvert par la possibilité pour son personnage d’inventer sa summer place à soi. Ancré à Chypre son pays d’origine, le racisme ou la compétition qui se joue avec la Grèce sont évoqués très brièvement dans les dialogues, mais pas forcément de manière évidente pour les non-initiés. La réussite du film tient surtout à la mise en scène d’une désillusion propre à une génération. Car il faut bien vivre avec son temps… Or Tina, dans un premier temps, n’y arrive pas du tout. On la découvre s’apprêtant au pire, robinsonne en pleine mer enivrée de désespoir dans la lumière méditerranéenne. Comme un reel ou un Snapchat qui aurait mal tourné, sa dérive dépressive sera interrompue par une vision d’urgence qui la fera immédiatement dessaouler. Chypre se trouve au large des côtes syriennes et une autre jeune femme, dans l’eau, a besoin de son aide. Sans aucun dialogue, cette ouverture qui représente près d’un tiers du film intrigue d’emblée.

Enfermée dans le paradoxe insoluble d’être forcément actrice d’un monde qui la révulse, Tina arpente Limassol en chevauchant son quad, considérant d’un œil déconfit les constructions modernes qui peuplent les bords de mer. Le traitement de la ville, en quelques travellings et plans fixe carte postale, nous donne la teneur de son aversion pour cet espace urbain jetable, constitué de capsules touristiques en béton. Le T-shirt “Jurassic Park” qu’elle arbore affiche avec humour sa désinvolture. Pourtant, au boulot, Tina s’applique à la tâche. Dans une série de gros plans, on voit l’application avec laquelle elle vernit des fruits, les compositions florales qu’elle arrange à la pince à épiler avec la minutie d’une restauratrice d’œuvres d’art. Mais une fois la tâche finie, elle floute la scène dans un rideau de fumée de cigarette derrière lequel elle se réfugie, à l’abri des frasques de Kseniya, son employeuse russe. Le premier épisode de la saison 3 de la série Black Mirror, “Nosedive”, qui se penche sur un monde où les “likes” régiraient nos vies et nos intéractions, propose un récit proche de cette scène. À la superficialité de cet environnement de coquilles vides, Alexandra Matheou confronte la densité de la “grande culture” avec une anecdote sur La Celestina de Picasso, clin d’œil au prénom de l’héroïne, ou des bribes d’Hiroshima, mon amour, que Tina regarde en rentrant chez elle.

What’s our story?”, se demandent les personnages à la fin du film face à une histoire lumineuse qui s’esquisse. Qu’est-ce qu’on va inventer ? C’est quoi notre story loin d’Insta et comment faire pour qu’elle soit authentique ? A Summer Place, qui commence en solo sur un bateau et se termine à deux sur un quad, dit la nécessité d’être toujours en mouvement et de rester en lien.

Cloé Tralci

1. Les trois premiers films d’Alexandra Matheou sont à découvrir en ligne gratuitement sur son site Internet

Réalisation et scénario : Alexandra Matheou. Image : Yorgos Rahmatoulin. Montage : Livia Neroustopoulou. Son : Christos Kyriakoulis. Interprétation : Mary Mina et Aurora Marion. Production : La Cellule Productions et This is the Girl Productions.

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