2020 - 17 minutes
France - Fiction
Production : Local Films
synopsis
Moscou, hiver 2019. À sa grande surprise, l’élève de troisième Kirill Grishin transforme le cours d’éducation physique en action politique. Cet incident aurait pu rester mineur, mais l’intervention des parents de Kirill donne une autre tournure aux événements.
biographie
Vladilen Vierny
Né à Moscou en 1988, Vladilen Vierny a grandi en Belgique. Après une licence de Lettres modernes à la Sorbonne nouvelle, il a étudié la réalisation à la Fémis, à Paris, dont il est sorti diplômé en 2013. Son film de fin d’études, Exil, a été sélectionné à la Cinéfondation au Festival de Cannes.
Tous ses courts métrages, notamment Shopping (2014) et Livreur (2015), ont été remarqués et sélectionnés dans de nombreuses manifestations, comme Premiers plans à Angers, Clermont-Ferrand, Donostia/San Sebastian, Munich, Bruxelles, etc.
Pendant trois ans, Vladilen Vierny a travaillé comme assistant-réalisateur et documentaliste de Sergueï Loznitsa. Depuis 2019, il enseigne la mise en scène à la Moscow School of New Cinema, tandis qu' À marche forcée, son nouveau court métrage, est présenté en compétition nationale du Festival de Clermont-Ferrand 2021.
Il réalise ensuite avec Aliona Zagurovska Le mystère du Kryvbass, un documentaire tourné dans une mine de fer en Ukraine, en développant alors en parallèle son premier long métrage de fiction.
Critique
En compétition au Festival de Clermont-Ferrand (en 2021, ndlr), À marche forcée est une évocation (trop) humaine du contexte russe actuel, pour le moins explosif de par la force déployée pour comprimer les existences, dans leurs expressions publiques comme dans leurs pans les plus intimes. Il s’agit de montrer comment naît chez deux adolescents la nécessité de l’engagement politique face à la tentation de la résignation, et de voir comment s’incarne le besoin, face à la violence imposée par un système oligarchique, de lutter avant de renoncer.
Se rebeller face à l’illégitimité des normes est un vœu précieux tant le maillage complexe, que Michel Foucault qualifie de “biopolitique” et qui vise à enchaîner et à discipliner la vie, se trouve dans ce pays (plus qu’ailleurs) justifié par des lois aussi arbitraires que changeantes. Au cœur de ce processus, c’est la liberté elle-même qui est minimisée, voire de facto tout à fait exclue. Et ce vœu, qu’importe s’il est vain ou non, est celui-là même auquel le cinéaste Vladilen Vierny donne une représentation filmique puissante, sans pour autant tomber dans le pamphlet simpliste ou moralisateur.
Sans doute s’avère-t-il surprenant, maladroit même, d’écrire la critique d’un film sans en raconter la trame narrative. Mais, dans ce cas précis, cette dernière s’avère moins importante que le sentiment suscité par l’œuvre, dont on se contentera d’indiquer quelques éléments dramatiques : une famille, une école, une situation grotesque dans laquelle deux élèves d’un lycée décident de mettre en défaut leur professeur de sport (à qui l’on a demandé au préalable d’organiser spécialement un cours au moment où se tient à Moscou une manifestation d’opposition, à laquelle justement les deux adolescents comptaient se rendre). À travers des cadrages minutieusement composés, un jeu d’acteur ténu et un montage subtil, À marche forcée est une œuvre extraordinaire de franchise et de pudeur, provoquant une émotion durable.
La force du film réside, en particulier, dans son appréhension de la parole : quelle est la valeur des mots échangés si tout confine à la soumission à un ordre hiérarchisé indiscutable ? Que reste-t-il en dehors du théâtre verbal imposé par une administration dont le seul principe est son obéissance aveugle envers le pouvoir centralisé ? Défaisant ce trop-plein de mots, le cinéaste (accompagné à l’écriture du co-scénariste Denis Spiridonov) accorde au silence une épaisseur rare. Si, regardant par cette fenêtre, l’adolescent ne voit pas poindre un monde meilleur, si c’est finalement le vide qui s’impose, c’est que le cinéma peut – étrangement, paradoxalement – donner une valeur fracassante d’évocation à un à-côté des mots, au fantôme du verbe. Au risque de l'emphase, on dira qu’À marche forcée est un petit chef-d’œuvre désarmant de désarroi, laissant le spectateur comme face à un complexe existentiel dont il identifie les enjeux et face auquel il ne peut définitivement rien, hormis se battre, espérer et créer.
Mathieu Lericq
Réalisation : Vladilen Vierny. Scénario : Vladilen Vierny et Denis Spiridonov. Image : Anton Gromov. Montage : Avril Besson. Son : Tristan Pontécaille et Jean-Charles Bastion. Interprétation : Irina Verbitskaya, Grigoriy Chaban, Darya Kalmykova et Vladimir Svirski. Production : Local Films.