
2020 - 9 minutes
France - Animation
Production : 2.4.7. Films, Schmuby Productions
synopsis
Dans un royaume tourmenté par des croyances ancestrales, une reine et ses sujets doivent constamment se maintenir à la pointe de la Mode, sous peine d’être dévorés par un monstre abominable : le Ridicule.
biographie
Jean Lecointre
Né en 1964, Jean Lecointre est illustrateur et réalisateur, formé à l'école supérieure d'Arts graphiques Penninghen. Il a travaillé pour de nombreux supports de presse, tels que Libération ou Les inrockuptibles, et publié plusieurs livres, aux éditions Thierry Magnier (par exemple Les dents du loup en 2002 ou L'odyssée d'Outis en 2013) ou Cornélius.
En 2003, Jean Lecointre passe à l'animation avec Turkish Delights, une collection de “péripéties pâtissières” diffusée sur Canal+ et co-réalisée avec Frank Secka et Fabien Caux-Lahalle.
Passé maître dans l'art du collage, il adapte deux de ses propres ouvrages en courts métrages d'animation : Les animaux domestiques en 2016 (selon deux configurations : cinq épisodes dissociés et un unitaire de 22 minutes), puis À la mode en 2020.
Ce dernier, primé au Festival des nouveaux cinémas de Montréal et au Festival Animatou de Genève, compte une quarantaine de sélections en festivals, de Paris Courts devant à L'Étrange festival, en passant par Court métrange (Rennes), Plein la bobine (La Bourboule) et, à l'étranger, Curtas Vila do Conde, Filmets (Badalogne), Anima (Bruxelles), Animafest (Zagreb), Trickfilm (Stuttgart), etc.
Critique
Après la série télévisée d’animation Turkish Delight et sa précédente auto-adaptation en format court métrage pour Les animaux domestiques, Jean Lecointre revenait à la réalisation en 2020 avec À la mode. Une brillante transposition en images en mouvement et en sons de son ouvrage éponyme paru dix ans plus tôt, en 2010. Chaque seconde de ces huit minutes trente se savoure. Pour les néophytes comme pour les connaisseurs de l’auteur-illustrateur, le plaisir est grand à apprécier son art du collage poétique et surréaliste. Chaque scène fourmille d’invention. Le regard baroque sur le monde en renvoie en miroir toute l’absurdité. Mais cette révélation de l’absurde vanité humaine se fait sur le ton de l’humour. Et c’est là que le geste du créateur prend toute sa dimension. Les travers du comportement s’épanouissent par l’extrémisme de l’écriture. Les curseurs sont poussés à leur maximum pour mieux révéler la vacuité obsessionnelle du paraître.
Les références abondent, comme les jeux de mots et de langage. C’est dans le mélange des genres que le réalisateur réussit sa parabole, du conte au western, de la parodie à l’anticipation. La reine suprématiste n’est autre qu’une version revisitée de la belle-mère obsédée par son image de Blanche-Neige, et l’os dans la moulinette bling-bling arrive non pas avec une plus jeune donzelle, mais avec un cowboy de passage. Les temps ont changé, et la forêt menaçante s’est muée en montagne où régnerait le monstre du ridicule. L’hégémonie contemporaine des réseaux sociaux offre une caisse de résonance au constat atemporel de la course à l’apparence. Lecointre insiste sur le double mouvement du présent (être à la mode) et du futur (devancer la mode), débouchant sur une véritable charge mentale schizophrénique, menant au burn-out, et au rebut.
Mais l’humanisme a droit de cité au milieu du délire et de la farce. L’auteur inverse la tendance en faisant du bannissement (les sujets du royaume envoyés dans la montagne fatale) un ravissement (le bonheur y est total), et de la terreur un régime politique obsolète, au profit de la différence comme charbon de l’harmonie collective. La création de l’animation par ordinateur rejoue aussi le charme premier de l’association par collage. La plus-value sémantique naît du croisement des provenances disparates (tête, corps, décor), que les mouvements de caméra épousent tout autant que les plans fixes. La monstruosité n’est plus. Lecointre défend la fluidité stylistique, pour mieux déjouer les autoroutes sociétaux et moraux. L’aventure se termine quand la reine, auparavant psychorigide sur le bon goût, se marie par amour avec le roi Dagobert et sa culotte à l’envers. Un pied-de-nez salvateur, que la voix de François Morel accompagne avec malice, de la première à la dernière image.
Olivier Pélisson
Réalisation et scénario : Jean Lecointre. Animation : Hélène Younous, Rémi Soyez et Martin Uyttebroeck. Montage : Laurent Blot. Son : Dorine Le Lay et Fabien Devillers. Musique originale : Valentin Hadjadj. Interprétation : François Morel, Florence Muller et Pierre Hiessler. Production : 2.4.7. Films et Schmuby Productions.