
2016 - 23 minutes
Belgique - Fiction
Production : Hélicotronc, Ultime Razzia Productions
synopsis
Raïssa et Alio, âgées respectivement de 17 et 18 ans, partagent la même chambre dans un foyer d’accueil depuis leur enfance. Un soir, alors qu’elle rentre au foyer, Raïssa découvre qu’Alio a quitté les lieux sans la prévenir.
biographie
Emmanuelle Nicot
Née le 18 novembre 1985 à Sedan, dans les Ardennes, Emmanuelle Nicot a suivi des études de lettres modernes et de cinéma à l'université, avant d'aller étudier en Belgique, à l’Insitut des Arts de diffusion. Son film de fin d'études, le court métrage Rae, connaît un beau succès en festival.
En 2016, elle réalise À l’arraché. Sélectionné dans plus de soixante festivals, parmi lesquels Premiers plans, à Angers, il remporte ainsi plus d'une quinzaine de prix, dont celui de la mise en scène au Festival Le Court en dit long, au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.
En 2022, son premier long métrage, Dalva, est présenté à la Quinzaine des réalisateurs, au Festival de Cannes, avant de sortir en France au printemps de l'année suivante.
Emmanuelle Nicot est également directrice de casting, spécialisée en casting sauvage, un tropisme qui se traduit aussi à l'intérieur de ses propres films.
Critique
Autour, la nuit noire. La rumeur lumineuse de la ville au loin nous parvient fébrilement. L’absence de repères apaise. Mais le passage soudain d’un RER au premier plan balaye cette quiétude illusoire. Ses wagons crachent une lumière saccadée dans une cadence éblouissante. Le bruit du moteur déchire l’obscurité en un rythme effréné. Emmanuelle Nicot ne laissera pas le temps à la machine de sortir du cadre ; alors nous nous y accrochons et rentrons avec elle dans ce premier court métrage, comme par effraction.
À l’arraché s’inscrit dans le sillon de ces œuvres naturalistes efficaces qui font le juste choix d’évacuer toute dramaturgie baveuse au profit d’un sujet très restreint, mais exploité à la perfection. Ainsi la réalisatrice dresse-t-elle, de manière sèche et rectiligne, une parenthèse de trois jours et deux nuits dans les vies de Raissa (Hajar Koutaine, impressionnante) et Aliocha (Clémence Warnier). Ces deux adolescentes se sont rencontrées en foyer, leur amitié est née dans le partage d’une chambre étroite. Depuis, les moments vécus à deux sont immortalisés sur leur porte, magnifiés de coups de crayons colorés ou d’autocollants gadgets. Mais ces souvenirs se consument à l’instant même où Raissa, de retour de son apprentissage coiffure, pousse la porte et découvre une chambre vidée. Alio est partie. Dès lors, le récit de cette séparation imposée par l’une, refusée par l’autre, emprunte la forme d’un thriller ténébreux, aux couleurs fades et nocturnes, dans une photographie embarquée qui ne cesse d’aller chercher les corps, la chair, la chaleur. La misère sociale est ici une donnée de base, non une coordonnée narrative ; il s’agira pour Raissa de remettre son amie sur le bon chemin sans s’éloigner du sien.
Le film est poignant de subtilité : cette séparation est une séparation à deux et non à un plus un. Alors la composition des plans est pensée pour deux, les regards s’échangent à deux, les silences s’éprouvent à deux. Même si la construction se fait en miroir fissuré – Raissa est impavide, électron libre, gonflée d’expressivité, alors qu’Alio est plus froide, plus effacée –, ce que l’on retient sont ces scènes intimes, filmées à hauteur de visages, qui ne seraient sans rappeler ces moments où, enfants, l’on partage secrets et histoires. À la nuance près que le monde de ces jeunes filles ne connaît pas de place pour l’imaginaire et encore moins pour la poésie. La démarche des protagonistes entre en crise avec d’autres questionnements, se heurte à d’autres réalités. À l’arraché fait ainsi résonner en creux des sujets sociétaux cruciaux, de l’abandon à la précarité, de la violence des hommes à l’avortement. Certains sont appuyés, d’autre suggérés ; l’équilibre est pensé et pesé sans épargner l’œuvre d’une sorte d’opiniâtreté la rendant âpre. Notre empathie pour ces filles ne se résume pas à notre savoir sur elles, elles existent dans leur complexité et leur intériorité hors de portée. Après tout le passé n’a pas à être fouillé, tant il contamine le présent.
À l’arraché : du verbe “arracher”, désigne une action que l’on réalise avec un effort violent, poussé, en combattant les résistances. À l’arraché, mouvement des corps errants mis en scène, mouvement des désirs incompatibles avec la vie, brimbalement d’un repère éphémère à un autre dont ces plans fixes de RER évoqués en incipit s’attachent à faire le pont. Ce court métrage n’aurait pu élire pour refrain plus justes plans que ces derniers. Ils y incarnent en leitmotiv la métaphore paradoxale d’un cocon et de l’urgence, de l’instant suspendu et du temps qui file, du réconfort et de l’étau qui se resserre. À l’arraché est un film dense, profondément vivant, qui sait faire de nécessité vertu, par son fond autant que par sa forme.
Lucile Gautier
Réalisation et scénario : Emmanuelle Nicot. Image : Caroline Guimbal. Montage : Robin Cnockert. Son : Gilles Lacroix, Luca Derom, Agathe Hervieu et Sarah Gouret. Musique originale : Florian Parra. Interprétation : Hajar Koutaine, Clémence Warnier., Saïda Manaï, Anton Kouzemin, Olivier Prémel et Jennifer Tambwé. Production : Hélicotronc et Ultime Razzia Productions.