
A Ciambra
Jonas Carpignano
2014 - 16 minutes
France, Italie - Fiction
Production : Carmen Films
synopsis
Une nuit dans la vie de Pio, un jeune Rom vivant en Calabre.
biographie
Jonas Carpignano
Jonas Carpignano, né en 1984 à New York, partage sa vie entre l’Italie et les États-Unis.
Il réalise à partir de la fin des années 2000 plusieurs courts métrages, dont A Chjana (2011) et A Ciambra (2014), qui remportent de nombreux prix dans des festivals aussi importants que Venise ou Cannes – le deuxième a reçu le Prix Découverte Sony CineAlta à la Semaine de la critique 2014.
Mediterranea, son premier long métrage, est tourné en Calabre où le réalisateur vit. Il est à son tour présenté en compétition à la Semaine de la critique. A Ciambra, qui reprend le titre du court métrage ayant précédé, suit en 2017, se voyant cette fois sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs.
C'est aussi le cas, en 2021, pour le troisième long métrage du réalisateur, À Chiara, qui sort en France l'année suivante et rapporte à son interprète principale Swamy Rotolo le David di Donatello de la meilleure actrice. Il clôt en outre ce que l'on peut appeler sa “trilogie calabraise”.
Critique
“Une nuit avec Pio”, nous dit le synopsis. On ne le contredira pas, mais tout est dans le “avec”. A Ciambra est, en effet, littéralement rivé à cet adolescent que l'on découvre dès le premier plan,“dealant” une cigarette. Les états et les déplacements du garçon sont les aiguillons d'un film qui semble poursuivre ici une logique proche de celle des frères Dardenne dans Rosetta : une caméra organique dans le mouvement d'un corps – il est d'ailleurs notable que Jonas Carpignano signe lui-même l'image, sans doute par un besoin de se relier “directement” à l'action et à son personnage.
Avec ses acteurs dans un rôle proche de leur propre existence et la tonalité de sa réalisation, A Ciambra appartient indéniablement à un cinéma hybride, tant le langage déployé renvoie à un “cinéma du réel” : cadres branlants, brusques embardées, filmage de dos, une caméra à l'affût, souvent en train de combler son retard sur ce qui se déroule devant elle ; seuls les raccords induisent clairement l'installation des plans dans un régime fictionnel.
Il est tentant de rattacher un tel geste à celui de Tizza Covi et Rainer Frimmel, particulièrement dans La pivellina (2009), avec, aussi, une même attention pour la marge, ici une marge autant sociale que géographique puisque Pio est un jeune Rom vivant en Calabre. Du jour finissant au matin, on suit donc les pérégrinations de l'adolescent, pris entre l'ivresse de son propre mouvement et les contraintes pesant sur ses déplacements – murs, portes, corps auxquels il se heurte dans sa virée. Ces seuils dessinent et rythment un parcours initiatique fait de rites à la fois âpres et sensibles, insistant aussi sur les aspects sensoriels (l'air, les variations lumineuses, la gâterie d'une prostituée). La vitesse induite par cette course accélère le passage de l'enfance à l'âge adulte, à un regard neuf sur une existence déjà cabossée qu'il faut continuer vaille que vaille à écrire.
Arnaud Hée
Texte paru dans Bref n°115, 2015.
Réalisation, scénario, image et montage : Jonas Carpignano. Son : Antoine Baudouin, Julien Perez et Giuseppe Tripodi. Interprétation : Pio Amato, Cosimo Amato et Koudous Seihon. Production : Carmen Films.