Extrait
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À Bissau, le carnaval

Sarah Maldoror

1980 - 19 minutes

Guinée-Bissau - Documentaire

Production : Instituto Nacional de Cinema e Audiovisual de Guinée-Bissau

synopsis

Depuis l’indépendance, acquise en 1974, après cinq siècles de colonisation portugaise, le peuple fête chaque année son carnaval à Bissau, capitale du pays. Le carnaval était dans ses débuts l’expression culturelle des seuls colons, mais peu à peu les Africains se l’approprièrent et en firent une occasion de manifester contre le pouvoir colonial.

Sarah Maldoror

Après des études de théâtre et la création de la première troupe noire à Paris, les Griots, Sarah Maldoror (1929-2020) a étudié le cinéma à Moscou.

Son œuvre cinématographique, qui compte plus de 40 films, est le reflet d'une vaillante combattante, curieuse de tout, généreuse, irrévérencieuse et soucieuse de l'autre, qui porta glorieusement le poétique au-delà de toutes les frontières.

Révoltée au franc-parler et humaniste résolue, Sarah Maldoror aura célébré l’engagement de l’artiste et l’art comme acte de liberté, depuis son premier film, le court métrage Monangambeee (1969), tourné en Algérie, juse après qu'elle ait été assistante à la réalisation sur La bataille d’Alger de Gilo Pontecorvo. Monangambeee a reçu le Prix de la meilleure réalisation au Festival de Carthage et le Premier prix du Festival de Tours.

Son long métrage Des fusils pour Banta, tourné en Guinée-Bissau, a suivi dès 1970, tandis que Sambizanga (1972) a été récompensé à Carthage et au Fespaco. Sarah Maldoror a ensuite alterné les formats, à la fois en fiction et en documentaire, pour le cinéma ou la télévision. Au sein de sa filmographie se distinguent Et les chiens se taisaient (1978), Fogo, île de feu et Un carnaval dans le Sahel (1979), À Bissau, le carnaval (1980), Aimé Césaire, le masque des mots (1987) et Léon G. Damas (1994).

Elle aura aussi dans les années 1980 collaboré avec Chris Marker sur Sans soleil et L’héritage de la chouette. Parmi ses scénarios non réalisés figurent des films sur Angela Davis, Nelson Mandela, Christiane Taubira ou encore Franz Fanon.

Au printemps 2025, le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective en parallèle de la grande exposition “Paris noir”.

 

Critique

Tout au long de sa carrière, débutée en 1969 avec le court métrage Monangambééé, la cinéaste Sarah Maldoror accompagne, par le cinéma, l’histoire des mouvements noirs d’émancipation. En Angola comme en Algérie, elle enregistre et documente inlassablement la façon dont les populations répondent à la violence de la domination coloniale. Comme dans Sambizanga, le chef-d’œuvre de Maldoror, en 1972, la résistance des peuples s’organise pour elle également autour de la solidité des structures collectives – le couple et l’assurance du foyer, autant que les moments de fête et de partage réaffirmant les traditions. La cinéaste découvre les îles du Cap-Vert en 1978, après leur indépendance. Elle y réalise Fogo, île de feu en 1979, puis À Bissau, le carnaval en 1980, dans la capitale de la Guinée-Bissau, pays frère du Cap-Vert.

Dans ce documentaire, Sarah Maldoror filme les préparatifs puis les festivités du carnaval, explore, comme elle l’explique précisément dans le générique, “la tradition des masques dont l’ordonnance des formes et des couleurs s’allient au pouvoir opératoire”. Créatures chimériques semblant tout droit sorties de la nuit d’un conte, avec leurs nez, oreilles, crânes aux formes arrondies, ces figures aux formes démesurées paradent dans les rues du quartier de Bissau pour affirmer un imaginaire culturel, social, politique, émancipé, libératoire. Dans la tradition de l’arte povera, on y voit les gamins, les jeunes et les adultes modeler les visages avec la boue, épaissir au moyen de bandelettes de tissus de seconde main, peindre, tailler, raboter à grands renforts de matériaux récupérées. De leurs gestes – filmés au plus près alors que la musique abonde, semblant lancer un compte à rebours vers la joie – naissent des costumes aux couleurs endiablées et des personnages dont le courroux démultiplié assume avant tout d’inverser la charge coloniale.

C’est cette fonction politique, primordiale derrière le masque, qu’assume Maldoror en offrant la parole à Luiz Cabral, alors Président du conseil d’État du pays, avant d’être renversé peu de temps après, qui convoque la puissance de “l’esprit du carnaval comme celui de son peuple”, pour toujours ainsi “enraciné”. On ne saurait mieux qu’ainsi reformuler la force et la nécessité de l’entièreté du cinéma de Sarah Maldoror.

Amélie Galli

À lire aussi, un grand dossier consacré à Sarah Maldoror dans Bref n°130, paru en janvier 2025.

Réalisation : Sarah Maldoror. Image : Jean-Michel Humeau, Sana N'Hada et Florentino Gomes. Montage : Sylvie Blanc, Catherine Adda et Stéphanie Moore. Son : Thierry Sabatier et Josefina Lopes Crato. Production : Instituto Nacional de Cinema e Audiovisual de Guinée-Bissau.