Livres et revues 04/01/2017

Rencontres autour de la création

Ils s’appellent Alain Cavalier, Pedro Costa, Claire Denis, Mia Hansen-Love, Claudio Pazienza, Albert Serra, Tariq Teguia… Dominique Villain les a invités à dialoguer avec ses étudiants de Paris VIII et a réuni ces années de rencontres dans un copieux et précieux volume.

Si l'enseignement du cinéma à l'université a pu demeurer un moment couper des considérations pratiques de la création, les habitudes ont largement changé et il n'est pas rare que des praticiens viennent apporter leurs témoignages devant les étudiants. C'est en particulier le cas à Paris VIII où Dominique Villain, par ailleurs monteuse, a reçu depuis plusieurs années bon nombre de praticiens (essentiellement des réalisateurs, mais pas seulement) lors de ses cours. Nous avons régulièrement signalé la chance de ces étudiants de Paris 8, de pouvoir dialoguer avec des professionnels, et la nôtre que ces rencontres soient retranscrites et publiées. Plusieurs volumes sont parus, ils sont aujourd'hui réunis en un gros pavé de plus de 400 pages et complétés des plus récentes rencontres, demeurées inédites.

En partie parce qu’il se retrouve dans un espace de rencontres délié de toute velléité promotionnelle, les invités se livrent comme rarement avec une franchise, une simplicité, une clarté à propos de leurs pratiques concrètes, exemples à l’appui, qu'ils s'appellent Alain Cavalier, Pedro Costa, Claire Denis, Mia Hansen-Love, Claudio Pazienza, Albert Serra, Tariq Teguia.

Ces entretiens valent bien des cours de cinéma. On entend rarement certains techniciens et nous avons été particulièrement sensible aux propos d'Emmanuel Croset, un mixeur, découvert dans Le fracas des pattes de l'araignée, documentaire d'Aurélien Vernhes-Lermusiaux, consacré au travail du son sur Hors Satan, de Bruno Dumont. 

Il faut aussi entendre le réalisateur géorgien, Otar Iosseliani, raconter sa méfiance des scénaristes coauteurs et comment, pour sa première réalisation française, le producteur, n'ayant qu'une confiance limitée dans ce « type venu d'un pays sauvage », lui avait « collé Gérard Brach », lequel « a écrit des bêtises incroyables (…), ce qu'il écrivait d'habitude, des clichés. Il est devenu mon meilleur ami (…), mais il n'a jamais touché mon scénario. Il m'a prêté son nom, dès qu'il y avait des difficultés, je disais à mon producteur que c'était une idée de Gérard Brach ».

Jean-Marie Straub raconte que pour Toute révolution est un coup de dés, d'après le poème Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, ils avaient choisi des personnes en fonctions des caractères d'imprimerie adoptés par Mallarmé. Les caractères majuscules, c'étaient les hommes et les caractères normaux, minuscules, les femmes, dont Dominique Villain et Danièle Huillet.

Ses témoignages se révèlent aussi des leçons de vie. René Féret, après deux films catastrophiques, avait renoncé à être réalisateur et voulait devenir producteur. Alors qu'on lui montre un scénario que Cassavetes n'arrive pas à concrétiser, Love Stream, il pense pouvoir le produire en faisant tourner le réalisateur à Londres. Cassavetes le fait venir à Los Angelès et, après avoir compris non sans mal ce que Féret lui voulait, il l'agonit pendant deux heures « tu es fou, tu es un réalisateur et tu veux être producteur ! » De retour en France, Féret n'avait plus qu'une envie, tourner de nouveau un film. Il n'a plus jamais changer de cap.

Dans une très belle postface, Jean-Paul Civeyrac loue cet ensemble de rencontres, qui permet d'approcher un peu ce qui se trame à l'origine d'une œuvre, dans cet en-deçà de l'image ou de la parole, cet « état de nous-même qui sait », mais « d'un savoir antérieur plus pertinent et plus performant que le langage qui l'ignore ou l'a oublié, et qui toujours menace de l'annihiler ».

Jacques Kermabon

 

Dominique Villain, Faire des films, entretiens, Presses universitaires de Vincennes, 2016, 25 euros.