Livres et revues 20/04/2018

Guernica au cinéma

À l’occasion du 80e anniversaire de Guernica, un livre de Gisèle Breteau Skira dresse un panorama des films qui évoquent d’une manière ou d’une autre cette œuvre emblématique de Picasso.

Il était assez cocasse, en lisant le livre de Gisèle Breteau Skira, d’apprendre par les gazettes qu’un chercheur avait passé plusieurs années à étudier le Guernica de Picasso pour arriver à la conclusion que cette fresque, peinte à la demande du gouvernement de la deuxième République espagnole n’a rien à voir avec la guerre, qu’elle est autobiographique et que c’est par opportunisme que le peintre espagnol l’a faite passer pour une œuvre de propagande qui dénonçait le bombardement de la ville martyre. À propos de cet emblème en majesté de ce que signifie une œuvre engagée, de cette icône mondiale contre les guerres, on cite en effet plus volontiers cette formule de Picasso : « La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de guerre offensif et défensif contre l'ennemi ». Sortir son étude aujourd’hui est une façon de surfer sur l’actualité de cet anniversaire.

La proposition de ce chercheur n’est pas si nouvelle. Dans son livre excellemment documenté, Gisèle Breteau Skira rappelle que cette hypothèse avait déjà été avancée par d’autres. Pour ceux-ci, Picasso exprime dans ce tableau « sa difficulté de vivre ses passions amoureuses justifiant ainsi les postures, les gestes, la douleur, la fureur et les larmes exprimées par les silhouettes féminines. » Et de citer D. H. Kanhweiler qui expliquait, dès 1956, que l’œuvre de Picasso est entièrement autobiographique. Les deux approches peuvent se conjoindre ; après tout, le poème de Paul Éluard, Liberté, érigé comme une ode à la liberté face à l’occupation allemande, n’était-il pas au départ un poème d’amour ? La force du tableau de Picasso, à laquelle on prête une dénonciation de toutes les guerres, tient peut-être aux strates de significations que le sous-tendent.

Guernica, un tableau au cinéma, s’il est consacré aux retombées cinématographiques de Guernica, commence par évoquer l’histoire de ce tableau, les partis pris de Picasso, le choix du noir et blanc, la chronique photographique que fit Dora Maar de sa réalisation, mais aussi, plus largement, la place du cinéma pour Picasso, dont l’auteur rappelle le rôle qu’il avait interprété dans La vie commence demain, sous la direction de Nicole Védrès. Entre autres pistes proposées, l’auteure pointe certains rapprochement iconiques possibles entre le tableau et, par exemple, certains plans du Cuirassé Potemkine (Sergueï Eisenstein, 1925) ou de L’adieu aux armes (Frank Borzage, 1933). Plus précisément, elle cite des analyses qui ont émis ces hypothèses. Car ce livre est d’abord le fruit d’une exploration minutieuse d’études françaises, anglaises, espagnoles, jusqu’à des thèses universitaires non publiées, auxquelles Gisèle Breteau Skira renvoie scrupuleusement. Il est, par ailleurs, nourri d’informations de premières mains comme ces entretiens menés par l’auteure avec Iñaki Elizalde, Emilio R. Barrachina, Guillermo García Peydró et Carlos Saura.

Comme film consacré au tableau de Picasso, on connaît surtout le documentaire d’Alain Resnais et Robert Hessens, réalisé en 1950. On ignore, et ce livre nous permet de le découvrir, que Robert Flaherty – oui, le père de Nanouk l’esquimau – avait tourné des plans en vue d’un film qui, quoique inachevé, par les témoignages sur ses ambitions et sa réalisation, « peut servir de leçon pour la création de film sur l’art ».

Gisèle Breteau Skira décortique ainsi dix films réalisés ou envisagés (comme la fiction de Saura, plusieurs fois repoussée, qui raconte la création du tableau et verrait Antonio Banderas dans le rôle de Picasso ou encore le court métrage en 3D de Peter Greenaway). Une présentation de chaque œuvre, est complétée d’analyses, de documents, d’une biographie du réalisateur, d’une fiche technique du film, dans un ensemble richement illustré.

C’est dire que cet ouvrage ne peut être résumé. On s’y plonge pour découvrir, par le menu, quels rapports entretient chacun des films avec le chef-d’œuvre de Picasso. Que ce soit le long métrage de Fernando Arrabal L’arbre de Guernica (1975-1982), le film de fin d’études d’Emir Kusturica Guernica, (1978) ou le court métrage d’Iñaki Elizald (1994), qui porte lui aussi comme titre le nom de la ville martyre, chaque film fait l’objet d’une étude approfondie, précise et précieuse.

En compléments, sont rappelés les courts métrages programmés – on s’en souvient, par Luis Buñuel – à l’Exposition universelle de 1937, les documentaires ayant comme sujet l’œuvre et la ville bombardée, les fictions sur le bombardement de Guernica, des films d’animation inspiré du tableau. Si l’exhaustivité n’est pas atteinte, elle aura été tentée.

Le livre de Gisèle Breteau Skira doit se trouver dans toutes les bonnes librairies, mais à coup sûr en bonne place dans celle du Musée Picasso. Jusqu’au 29 juillet, une exposition consacrée à la fameuse œuvre monumentale du peintre espagnol, présentée la première fois dans le Pavillon espagnol de l’exposition internationale à Paris en 1937, permet d’y découvrir les nombreuses esquisses propres à donner une idée de la genèse de Guernica, sans doute un des tableaux les mieux gardés au monde, et qui, lui, ne bouge du Musée Reina Sofia de Madrid. Une deuxième partie de l’exposition déploie, sous toutes les formes, la postérité de ce chef-d’œuvre dont on est loin d’avoir épuisé les sens.

Jacques Kermabon

Gisèle Breteau Skira, Guernica, un tableau au cinéma, édition bilingue (français et espagnol), Antonio Pareja editor, 2017, 30 euros.

 

 

Guernica, d’Alain Resnais et Robert Hessens.