Festivals 11/10/2017

Quartiers Lointains, nouvelle saison

Pour la quatrième année, le programme “Quartiers Lointains” circule entre France, Afrique et Amérique du Nord autour du thème “Justice !”. Rencontre avec celle qui est à l’origine du projet, la prolifique Claire Diao.

“Rendre le lointain plus proche”, voici le credo de “Quartiers Lointains”. L’événement propose, une année sur deux, des films français et des films africains. L’objectif est de tisser des liens et de s’interroger sur ce qui nous rassemble. Pour cette saison, cinq films d’Afrique s’articulent autour du thème “Justice !” : l’Égyptien The Aftermath of the Inauguration of the Public Toilet at Kilometer 375 de Omar El Zohairy, le Malgache Madama Esther de Luck Razanajaona, le Libyen 80 de Muhannad Lamin, le Rwandais A Place For Myself de Marie-Clémentine Dusabejambo et enfin le Sudafricain Kanye Kanye de Miklas Manneke. Depuis la saison dernière, "Amour à la française", “Quartiers Lointains” tourne aussi aux États-Unis. L'un de ses courts métrages, Vers la tendresse d’Alice Diop, a su se frayer un chemin jusqu’aux César pour décrocher une statuette. Quelques jours après la projection de lancement à Beaubourg, nous avons rencontré la fondatrice et journaliste de métier, Claire Diao.

Comment “Quartiers Lointains” est né ?

J’écrivais sur des cinéastes africains sur le blog “l’Afrique en films” pour le Courrier International et sur des cinéastes français d’origine africaine sur le Bondy Blog. Je ne trouvais pas un événement qui rallierait et montrerait tous ces réalisateurs ensemble. Je me suis dis : “Pourquoi ne pas diffuser les films français en Afrique et les films africains en France ?”  C’est comme ça que la première saison est née, avec comme thématique l’identité. J’ai sollicité les réalisateurs Rachid Djaïdani, Yassine Qnia, Akim Isker et Mohamed Belhamar, Djinn Carrénard, et Steve Achiepo. Leurs films ont été projetés au Rwanda, à la Réunion, au Sénégal et en Algérie. En 2014, nous avons monté avec des collègues l’association Siniman Films qui gère la programmation. La deuxième saison, autour du thème de la famille, a circulé en France avec des films africains (Mozambique Afrique du Sud, Tunisie, et Burkina Faso).

Pourquoi un festival “itinérant” ?

Ce n’est pas un festival “itinérant”, mais un programme “itinérant” ! La différence, c’est que nous avons une programmation définie et que l’on se déplace partout.  Je me suis rendu compte que beaucoup de gens ne vont pas en festival. Tel cinéaste est intéressant, mais où voit-on son film ? Nulle part. La proposition c’était d’aller vers le public, de créer le débat, et d’échanger sur la double culture, point commun entre tous les membres de l’association. La particularité de “Quartiers Lointains”, c’est qu’on ne sépare jamais les films d’une saison. Cela nous pose parfois problème avec des festivals qui veulent sélectionner un ou deux films, mais pas le programme en entier.

“Quartiers Lointains” s’inscrit-il dans une démarche politique ?

S’il y a une dimension politique, c’est de changer le regard des gens sur ce qu’on peut appeler “les banlieues”, “l’Afrique”. Les gens viennent voir le programme en pensant que cela va les dépayser, à la sortie ils s’aperçoivent qu’ils ont des points communs avec cinq films de pays différents qui ont leurs propres bassins linguistiques. L’objectif, je l’ai vu surtout lors de projections scolaires, c’est d’avoir un public captif. À partir de là, on peut débattre. La programmation est ainsi variée, il y a de la fiction, de l’animation et du documentaire.

Le but, c’est de les ouvrir à d’autres cinéastes, leur montrer qu’ils existent puisque ce sont eux  les spectateurs de demain, à eux de s’intéresser à ces propositions-là. On continue à faire un travail de fourmis. On manque de moyens financiers et humains pour toucher davantage de spectateurs, j’aimerais une tournée nationale.

Pourquoi le format du court métrage vous intéresse-t-il ?

J’ai commencé à écrire sur les films et à me rendre aux festivals par le biais du court métrage, notamment lors du Festival de Villeurbanne. C’est un format que j’ai toujours aimé, on peut être percutant en très peu de temps ! C’est là que l’on repère les futurs grands cinéastes. Ceux que l’on accompagne avec “Quartiers Lointains” passent ensuite au long, c’est une fierté de les avoir fait connaître dès leurs débuts.

Quel court vous a marqué ?

Einspruch VI de Rolando Colla est l’un des plus beaux courts métrages fait sur la migration. Ce film retrace la vie et l’expulsion d’un sans-papier en Suisse, filmé en caméra subjective. Il a gagné le Prix spécial du jury au Festival de Clermont Ferrand en 2012. Je pense aussi à un court métrage suédois qui m'avait frappé par l’efficacité de sa mise en scène, Musique pour un appartement et six batteurs d'Ola Simonsson et Johannes Stjärne Nilsson, l’histoire de percussionnistes qui s’introduisent chez les gens pour y jouer de la musique avec le mobilier.

Cette quatrième saison avec des films africains s’appelle “Justice !”, pourquoi ce mot ? Comment avez vous travaillé la programmation ?

Quand on parle de l’Afrique, surtout dans les médias, les mêmes mots reviennent : la guerre, les maladies, l’exil ... C’est injuste que ce soit souvent les gens d’un même continent qui doivent émigrer, que ce soient souvent les premières victimes d’épidémies. Quand on entend “justice”, on pense aussi à la Cour pénale internationale avec les dictateurs africains. C’est très réducteur, car la justice est présente dans toutes les strates de la société et se vit au quotidien. “Justice !” c’est une façon de renverser les préjugés. On détourne toujours le mot par rapport à la sélection des films. Vous ne verrez donc pas des policiers en uniforme, des tribunaux etc.

Pour composer la programmation, d’habitude, je pense à un court métrage, puis j’en greffe d’autres autour. Cette année, nous avons procédé autrement. J’ai proposé ma sélection à mon équipe et à la marraine de cette quatrième saison, la réalisatrice franco-égyptienne Jihan El-Tahri qui m’a donné du fil à retordre ! J’ai découvert The Aftermath of the Inauguration of The Public Toilet at Kilometer 375  d’Omar El Zohairy à Cannes dans la compétition des films d’écoles de la Cinéfondation et 80 de Muhannad Lamin au Festival du film de Locarno. Madama Esther de Luck Razanajaona, je l’ai vu aux Journées cinématographiques de Carthage. C’est au Fespaco et au Rwanda Film Festival que je suis tombée sur A Place For Myself  de Marie-Clémentine Dusabejambo et Kanye Kanye de Miklas Manneke.

Quels sont vos projets en cours : Sudu Connexion, Double vague, Awotele ?

“Sudu” veut dire maison en peul. On m’a toujours dit que je faisais le lien entre les gens pourquoi ne pas tous les mettre dans le même endroit ? “Sudu Connexion” est une société de distribution, née suite au succès de “Quartiers Lointains” et localisée à Pantin au Medialab 93. Elle va distribuer des films d’Afrique et de la diaspora, cela concerne aussi bien les ventes à la télévision où l’on démarche les chaînes pour les producteurs que des envois aux festivals panafricains (plus de deux cents à l’internationale). Je constitue actuellement un catalogue composé principalement de réalisateurs cités dans mon livre  paru récemment “Double vague : le nouveau souffle du cinéma français”, une enquête journalistique qui dresse le portrait d'une génération de cinéastes français métissés, ayant grandi dans des quartiers populaires, souvent autodidactes et parfois reconnus à l’international. “Sudu Connexion” édite aussi la revue de cinéma Awotele publiée à l'occasion des trois grands rendez-vous du continent africain : le Fespaco (Burkina Faso), Durban (Afrique du Sud) et les Journées Cinématographiques de Carthage (Tunisie). À l’avenir, la société englobera toutes ces entités.

La prochaine destination de Quartiers Lointains ?

La saison quatre “Justice !” commence par une grande tournée en Afrique ! Elle ira à Porto Novo, Yaoundé, Dakar, et Kigali ; en passant par la France dans les villes de Marseille et Grenoble pour l’instant …

Propos recueillis par Vladimir Lozerand

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