Festivals 02/10/2018

Le FCDEP 2018 : vers un cinéma hors-les-normes

Pour sa 20e édition, le Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris tiendra au Grand Action (du 9 au 14 octobre) ses assises centrales (compétition et focus), précédées d’événements hors les murs (Centre Georges Pompidou, Centre culturel suisse, etc.) du 3 au 7 octobre. La thématique 2018, celle du déchet, sera déclinée autant dans sa dimension écologique que plastique. Spécialiste du cinéma expérimental et documentaire, réalisateur et programmateur, Boris Monneau nous présente cette édition.

Pour sa 20e édition, ce festival organisé par le Collectif Jeune Cinéma et consacré aux cinématographies “autres” nous invite à interroger le regard que nous portons sur le déchet et la pratique que nous en avons. Il ne s'agit pas seulement de compiler des films à thématique écologique (dans toute l'étendue que peut avoir ce terme), mais de porter le questionnement sur le cinéma lui-même lorsqu'il occupe une position proche du rebut : “Si la question du déchet nous touche particulièrement, c’est aussi parce que nous nous en sentons proches,car d’une certaines manière, nous sommes considérés comme les déchets de l’industrie du cinéma. Il s’agit dès lors de réfléchir à notre position qui est celle de toute marge : rester un joyeux déchet, agir dans l’ombre au risque de se décomposer, ou bien se “ valoriser ” s’auto-recycler mais du même coup frôler l’hygiénisme ?” (extrait du catalogue du festival).

Les déchets sont ici bien vivants. Outre une section compétitive fournie, dans laquelle 42 films de 22 pays ont été sélectionnés, le festival renferme une diversité de propositions et d'approches. Une exposition à Re:Voir/The Film Gallery à l'occasion des 20 ans de la manifestation en présentera les archives à travers non seulement des documents visuels/communicationnels (anciens programmes, affiches, catalogues, bandes annonces), mais aussi des traces écrites (correspondances avec les cinéastes, fiches d’inscriptions des films, documents de travail ou encore gazettes du festival), mettant ainsi en lumière les processus collectifs de production d’une telle manifestation culturelle. L’Etna, atelier de cinéma expérimental, propose à dix participant(e)s la réalisation d'un film en 16 mm à base de chutes. Outre les projections classiques, un ciné-concert sur Street Film de Robert Fulton (1979, photo ci-contre), sera accompagné par le saxophoniste improvisateur Stéphane Rives, et une performance (Global Garbage’s Utopian Mind Station, qui intègre plusieurs types de projection et de régime d’images depuis les productions de l’industrie culturelle jusqu’aux usages privés, des manipulations du signal vidéo en direct et des interventions sonores) seront aussi présentés, ainsi que des séances de films expérimentaux conçues pour les enfants, et une petite section compétitive dédiée aux cinéastes de moins de 15 ans.

Comme les années précédentes, la section des “Focus” sera consacrée aussi bien à des classiques ou à des raretés du cinéma expérimental (et au-delà) qu'à des productions plus contemporaines : Dailies From Dumplandfilm de found footage du cinéaste américain Michael Woods, est présenté comme un “pamphlet anti-Trump” ; à l'autre extrémité du spectre socio-politique nous pourrons voir une séance de films philippins imprégnés des théories postcoloniales.

La rétrospective s'ouvre quant à elle le 3 octobre au Centre Pompidou par un hommage à Maurice Lemaître, principal représentant, ne serait-ce qu'en en termes quantitatifs, du cinéma lettriste, décédé au mois de juillet. C'est son premier film qui sera présenté, Le film est déjà commencé ? (1951) dans une version élargieoù il pose les bases de la création cinématographique lettriste qui fait éclater le cadre habituel de la séance et remet en question le statut central du film dans l'écologie et l'économie cinématographique (le syncinéma). Lemaître réalisera par la suite d'autres films à partir d'images trouvées, notamment dans les poubelles des laboratoires (Une œuvre1968) qui sera présenté dans le programme “De la poubelle à l'écran : le ready-made filmique”).

Pour conclure, mettons l'accent sur la séance programmée en collaboration avec l'association Margins, consacrée aux diverses formes d'expressions de l'art brut et outsider, notamment dans le domaine cinématographique et musical. Troisième édition de la mini-section intitulée “Acheminement vers un cinéma hors-les-normes” qui, après s'être intéressée aux films réalisés dans les hôpitaux psychiatriques et au cinéma amateur, met l'accent cette fois-ci sur des créateurs en marge du cinéma expérimental, pour certains déjà reconnus dans le domaine de l'art brut : le photographe allemand Horst Ademeit, réalisateur d'un seul film en 1979, qui a inlassablement documenté l'influence pernicieuse des “rayons froids”, et Alain Bourbonnais, davantage collectionneur et défricheur de l'art brut (c'est à lui que l'on doit le terme d'“art hors-les-normes” et la création du musée La Fabuloserie), et aussi auteur de documentaires sur des artistes bruts, et d'une série de films basés sur ses sculptures, les Turbulents, formées de matériaux de récupération. La réanimation du déchet devient ici littérale, puisque les sculptures sont animées de l'intérieur par les acteurs qui les enfilent comme des costumes. 

À l'opposé du déchet se trouvent les films du vidéaste et photographe américain George Andrus, exaltant la nature et la beauté des bulles de savon : “Car le savon fait plus que nettoyer, il illumine notre regard, nourrit notre esprit et apaise notre âme”. Son “soap film” Dancing Rainbows (2003, photo ci-contre), nous fait voyager dans un monde extraterrestre, à la recherche des figures fortuites qui se forment et se déforment dans la pellicule savonneuse prisonnière d'un anneau. L'inclusion la plus insolite est ici celle de Louis le Déboucheur, entreprise familiale de débouchage d’égouts et de sanitaires sise à Bruxelles, qui présente des vidéos documentant son travail sur sa prolifique chaîne YouTube. La caméra plonge dans les canalisations et en ramène des images parfois étonnantes, non éloignées de certaines traditions abstraites du film expérimental.

Boris Monneau

 

 

 

 

 




Ci-dessus : Dailies From Dumpland de Michael Woods.
Ci-contre : Good Times in Nature de George Andrus.
Photo de bandeau : Studies for the Decay of the West de Klaus Wyborny.