En salles 19/10/2017

Un court long de King Vidor

Proposé en version restaurée cette semaine, "Notre pain quotidien" date de 1934, dure à peine plus d’une heure dix et se révèle à de nombreux égards admirable.

L'année de sortie du film, à savoir 1934, suit celle du lancement du New Deal par l'administration Roosevelt et l'élan très particulier à la période marque directement la tonalité de Notre pain quotidien. Le film exalte en effet avec force ses valeurs hautement positives : la solidarité, la fraternité, la défiance envers l'argent roi et le profit, en mettant en scène un jeune couple très “propre sur lui”, John et Mary, menacé par la déflagration de la grande crise de 1929 et n'ayant d'autre perspective que de quitter la grande ville pour la campagne, afin de s'occuper d'une ferme isolée. L'endroit devient vite le cœur d'une incroyable aventure collective, basée sur les principes d'une coopérative, enrichie selon les arrivées successives de différents travailleurs jetés sur les routes par le chômage et la misère.

La puissance inouïe de Notre pain quotidien tient à sa constante humanité (on pense à Steinbeck, forcément) et son sous-texte politique dont on a peine à croire qu'il ait pu s'exprimer ainsi, un jour, à Hollywood, surtout de la part d'un cinéaste aussi peu “rouge”. D'ailleurs, une lénifiante séquence de bondieuserie pointe au milieu de l'histoire (Vidor était non seulement une grenouille de bénitier, mais aussi furieusement prosélyte), avant que débarque une mauvaise femme corrompue, comme de bien entendu menaçante pour la solidité du “saint” couple (logiquement, elle est peroxydée, comme Mae West ou Jean Harlow...), mais l'ampleur de la mise en scène ne lasse pas d'impressionner, notamment cette ultime partie où les hommes, réunis et soudés, détournent l'eau nécessaire à leurs cultures de maïs en train de sécher sur place, creusant ainsi un canal de plusieurs kilomètres de long en un ballet de pioches et de pelles digne d'un musical de Busby Berkeley. La stupéfiante grâce épique de la séquence en fait un authentique morceau d'anthologie, métaphorique des grands travaux rooseveltiens et participant grandement à placer ce film finalement assez méconnu au rang des chefs-d'œuvre de son auteur. La société de distribution Théâtre du Temple lui permet de retrouver le grand écran (à Paris au Reflet Médicis) à partir de cette semaine, qu'elle en soit également louée.

Christophe Chauville