En salles 07/09/2018

“Shéhérazade” de Jean-Bernard Marlin : l’envers des Mille et une nuits

La sortie du premier long métrage de Jean-Bernard Marlin est l’un des événements de la semaine. Le film, très bien accueilli par la critique, met à nouveau en lumière le talent du réalisateur de “La fugue”, proposé sur Brefcinema à cette occasion, pour les six prochains mois.

Une altercation des plus violentes entre deux jeunes ados – avec volonté de “fumer” l’un, de la part de l’autre, dans La peau dure ; une jeune fille condamnée à un an de prison et tentant d’échapper à son destin en même temps qu’à son éducateur dans La fugue ; de très jeunes gens évoluant dans le monde de la prostitution de rue la plus sordide dans Shéhérazade : le cinéma de Jean-Bernard Marlin est d’une extrême âpreté, sans aucun doute possible !La délinquance des adolescents et des jeunes adultes est son terrain de prédilection et sa mise en scène suit ses protagonistes au plus près, comme via une caméra à l’épaule parfois collée aux pas de la Sabrina de La fugue.

Le réalisme des situations est catalysé par une empreinte documentaire de séquences “judiciaires”, au tribunal ou dans le bureau d’une juge, avec une puissance et une justesse qui rappelle le style d’un Xavier Legrand, par exemple. La comparution de Sabrina, dans La fugue, est ainsi d’une violence inouïe, filmée avec sobriété, restant sur le visage de cette voleuse à la tire à peine sortie de l’enfance et dont les yeux s’humidifient alors qu’elle pressent ce qui se profile, faute de le comprendre, n’ayant ni les outils ni le langage pour s’en sortir. Une empathie naît avec elle et ce tour de force est à mettre au crédit de Jean-Bernard Marlin à chaque fois. On comprend et compatit à la douleur du gamin de La peau dure alors qu’il apparaît d’abord comme une graine de voyou inconséquent et réellement décidé à planter un “ennemi” de son âge... Et dans Shéhérazade, on surmonte pareillement la distance initiale qui nous éloigne a priori de Zac, pour qui sortir de la légalité semble comme inscrit dans son ADN, et celle qu’il rencontre dans la rue, où elle évolue et travaille. Quand on la retrouve au tribunal après un viol qu’elle a subi, Shéhérazade a l’air d’une fillette séchant à peine ses larmes, si loin de la figure de créature charnelle vendant son corps le long des boulevards du nord de Marseille.

Le recours systématique à des interprètes non professionnels achève d’enraciner la patte de Marlin, avec un “nez” incontestable, l’explosif duo Dylan Roberts/Kenza Fortas se montrant aujourd’hui aussi épatant que l’était Médina Yalaoui dans La fugue, qui fut, rappelons-le, distingué de l’Ours d’or du court métrage à la Berlinale en 2013, rien de moins !

Christophe Chauville


Filmographie courts métrages

Synaesthesia (2003, 19 min)
La peau dure (coréalisé avec Benoit Rambourg, 2007, 13 min 30)
La fugue (2013, 22 min)