En salles 27/03/2018

Le vent nous portera, tout disparaîtra...

"Vent du Nord”, l’une des sorties de la semaine, est le premier long métrage de Walid Mattar, vu notamment au Festival Cinémed de Montpellier en 2017 et présenté également au Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient cette semaine. L’occasion de revenir sur le parcours du jeune réalisateur tunisien...

 

Production belgo-franco-tunisienne, le premier long métrage de Walid Mattar, Vent du Nord, surprend d’abord par le nombre de talents liés au court métrage de ces dernières années, sinon du jeune cinéma français actuel en général, qu’il réunit. À savoir Martin Rit à la photo, Claude Le Pape et Leyla Bouzid (une collaboratrice régulière du réalisateur) au scénario et Catherine Cosme (réalisatrice des Amoureuses) aux costumes, tandis que Philippe Rebbot, Corinne Masiero et Kacey Mottet-Klein assurent devant la caméra les rôles principaux. Du moins pour la partie française du film, puisque celui-ci est construit en deux niveaux de narration correspondant à deux lieux distincts, s’entremêlant étroitement et faisant se croiser ses personnages : Hervé, un ouvrier des Hauts-de-France dont l’usine se voit délocalisée et qui, passant des vacances en Tunisie pour enfin décompresser, aperçoit furtivement, et sans le savoir, un jeune homme, Foued, qui a justement été embauché dans le nouvel atelier...

Deux trajectoires parallèles pour un montage s’appuyant sur un principe similaire, même si l’intrigue européenne semble davantage développée, déséquilibrant ce tableau pourtant assez frappant des effets de la mondialisation sur “ceux qui trinquent toujours”, comme le résume le réalisateur, qui avait déjà œuvré sur le terrain du film social avec Baba Noël, où un clandestin se dissimulait, en métropole, sous la barbe blanche et la houppelande du bon vieillard pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille restée au “bled”. Un dernier plan, suivant son arrestation et son expulsion, montrait avec ironie l’inutilité de croire, justement, au Père Noël. Cet humour, avec une pointe de désespoir, marquait déjà l’ultime scène de Condamnations..., Prix du jeune public à Cinemed en 2010, alors qu’une voix off de JT énonçait les réactions indignées unanimes après un bombardement israélien sur Gaza, jusqu’à l’absurde et sans que les choses puissent un jour changer...

Une autre expression de la mélancolique résignation qui imprègne à son tour, finalement, les rêves déçus dans Vent du Nord, Foued se trouvant écœuré de ce qu’il vit intimement au travail – et dans son pays après la Révolution – tandis que le bateau de pêche d’Hervé, en passe de se reconvertir, est saisi, faute d’autorisation administrative idoine. Et après Kaouther Ben Hania, Lofti Achour, Anissa Daoud et Leyla Bouzid, un autre nom à suivre s’adjoint à la jeune garde, engagée et soucieuse de liberté artistique, du cinéma tunisien.

Christophe Chauville


Filmographie courts métrages


Le Cuirassé Abdelkrim (2003, 8 min)
Da Giorgio (2006, 12 min)
Fils de tortue / Weld el facroun (2006, 14 min)
Bonjour / Sbeh el khir (coréalisé avec Leyla Bouzid, 2006, 7 min)
Condamnations... / Tandid (2010, 15 min)
Offrande (2011, 16 min)
Baba Noël (2012, 15 min)

Photos : © Barney Production / Propaganda Productions / Hélicotronc.