En salles 05/04/2018

L’art d’être lutine

C’est une sortie des plus modestes de cette semaine que celle de "Lutine”, qui voit Isabelle Broué se rappeler à notre bonne mémoire. Ce qui nous donne l’occasion de nous tourner à nouveau vers son passage dans le court, il y a – déjà ! – deux décennies environ.

Avec Lutine, Isabelle Broué se met en scène, de manière plus ou moins directe, en une sorte d’autofiction où une réalisatrice n’ayant pas tourné depuis très longtemps – au point que même ses enfants lui demandent pourquoi elle persiste ! – se lance dans un documentaire sur la “polyamorie”, ou “polyamour”, soit le fait d’aimer plusieurs personnes à la fois, pour autant de relations parallèles non exclusives. Son projet de cinéma bifurque en cours de route, au fil des imprévus liés à la mise en abyme, le comédien jouant le compagnon de la réalisatrice (l’inénarrable Philippe Rebbot) perdant par exemple la notion de la dissociation du réel et du “faire semblant”...

Une telle œuvre apparaît donc éminemment personnelle, il n’est guère besoin d’insister, et accède à une petite sortie en salles trois ans après sa finalisation – grâce, notamment à une campagne de “crowdfunding”. Le précédent long métrage d’Isabelle Broué, Tout le plaisir est pour moi, datait de 2004, avec Marie Gillain en jeune femme perdant toute possibilité de jouissance en même temps que son clitoris, de façon non métaphorique et sur un mode de comédie franchement débridée qui étonna alors quelque peu, de la part d’une réalisatrice issue de la Fémis et dont on se souvenait surtout de l’enchaînement de deux gros succès de festivals : Les jours bleus et À corps perdu (ce dernier étant présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2000).

Il y était déjà question – comme du reste dans les films d’école qui avaient précédé – de couple, de séduction, de sexualité, de maternité éventuelle. Et de désir d’émancipation féminine, surtout. Dans À corps perdu, c’était sur un mode plutôt tragique, l’héroïne jouée par Marie Payen tentant de se reconstruire à Paris, loin de la ville de province où elle avait été victime d’une agression à caractère sexuel. Elle parvenait finalement à se tourner à nouveau vers l’avenir, tout comme, avant elle, la trentenaire des Jours bleus (Camille Japy), enceinte et hésitant pourtant à rester avec son compagnon, se sentant attirée par un autre, comme en une préfiguration possible de ce “polyamour” qui constitue l’épine dorsale de Lutine. Un motif joyeusement libertaire, aussi, qui fait écho, cinquante ans après un certain mois de mai, aux bouleversements intervenus également sur le volet de l’intime et de la libération des sens et des sentiments. La réalisatrice venait justement au monde à la fin de cette année-là...

Christophe Chauville

Filmographie courts métrages d'Isabelle Broué
Chocolat amer (1993, 8 min)
Presse-citron (1994, 15 min)
Les jours bleus (1998, 25 min)
À corps perdu (2000, 27 min)