Cahier critique 16/06/2017

“Une tête disparaît” de Franck Dion

Cristal du court métrage au Festival d’Annecy 2016

Une tête disparaît est à l’image de son titre : d’une éloquente et gracieuse simplicité. Quelques plans suffisent pour mettre en place l’idée originelle du court métrage qui, dans sa littéralité, trouve une toute nouvelle force d’évocation.

C’est avec les petits pas de Jacqueline, à la résonnante cadence, que Franck Dion nous entraîne dans cette métaphore incarnée. Une vieille dame sans tête, une tête de vieille dame sur la table d’un café : l’approche graphique de la maladie mêle l’évidence au mystère. Jacqueline a sans conteste perdu la tête ; pourtant, cela ne semble pas l’arrêter et, plongé dans son regard fantaisiste, on la croit, on partage son élan. C’est ainsi que d’une gare, environnement familier et impersonnel par excellence, naît une trajectoire à la délicate drôlerie qui intrigue comme elle inspire. Le hall se dilate, les proportions se perdent, mais qu’importe, Jacqueline veut aller à la mer pour son anniversaire, comme tous les ans.

L’animation ne permet pas seulement ces libertés prises avec l’espace : les couleurs douces et délavées qui peuplent l’univers de Jacqueline s’imprègnent de nostalgie, éloignant toute noirceur superflue. L’étrange vainc le lugubre ; les repères se troublent et un déséquilibre indistinct s’infiltre dans la représentation de la réalité. La fille de Jacqueline devient alors une redoutable poursuivante au regard fixe et à la moue impassible ; mais peut-être que l’usage de l’animation est d’autant plus efficace qu’il confère à l’univers sonore une importance primordiale.

En effet, comment la subjectivité sensorielle de Jacqueline s’exprime-t-elle, sinon par l’univers sonore ? Son visage, majoritairement masqué par d’immenses lunettes, reste neutre, et son corps diminué et déformé, s’il témoigne d’une certaine vulnérabilité, ne peut à lui seul porter une infinité de nuances. Au contraire, la bande sonore le peut. Du déroutant à l’enveloppant, il donne une matière tangible à ce monde à la dérive et nous emporte dans son sillage. C’est que, contrairement aux images, on ne peut échapper à un son – voudrait-on se boucher les oreilles que la parade demeure imparfaite, le bruit s’infiltre, s’insinue et influe sur notre perception de la réalité. Comme Jacqueline, qui ne peut distinguer la réalité de ses souvenirs ou de ses fantasmes, nous associons sans résistance sa fille aux roucoulements d’un pigeon, les fonds sous-marins à l’ébranlement du train ; quand bien même nous en prenons conscience, l’impression nous est arrivée à cœur et nourrit le malaise latent.

Une alchimie douce-amère s’épanouit alors : entre cruauté et tendresse amusée, Une tête disparaît joue de la perméabilité de son support pour porter une voix dépourvue de pathétisme sur la maladie. Le temps d’un récit où le motif principal est celui d’une parenthèse, celui d’un voyage, d’une digression, destinée à s’étioler et à se confondre peu à peu avec la réalité qui viendra la poursuivre, la tête se perd, se retrouve, puis retombe.

Claire Hamon

Réalisation, scénario, graphisme, décors et montage : Franck Dion. Animation : Gilles Cuvelier, Gabriel Jacquel, Nicolas Trotignon et Franck Dion. Son : Pierre Yves Drapeau, Serge Boivin et Geoffrey Mitchell. Musique : Pierre Caillet. Voix : Florence Desalme. Production : Papy3D Productions – Office national du film du Canada – ARTE France.