Cahier critique 12/05/2017

"Une histoire de France" de Sébastien Bailly

#electionpresidentielle

Parmi les raisons qui font que le cinéma de Sébastien Bailly se révèle, de film en film, passionnant, il se profile une constance à se confronter au réel dans ce qu’il a de plus délicat à saisir au cinéma, à savoir l’époque précisément jalonnée d’un point de vue politique ou symbolique. Ce fut l’élément, polémique s’il en est, du voile islamique à travers Où je mets ma pudeur, son précédent court métrage ; c’est cette fois la présidence de François Hollande au lendemain des attentats de janvier 2015. L’ambition de toucher à la psyché du pays à un moment donné de son histoire est donc revendiquée dans la démarche, dès l’écriture, et l’écueil de la démonstration est à nouveau écarté, grâce à un récit reposant sur plusieurs strates narratives dont l’épaisseur permet de répondre aux promesses d’un titre programmatique.

La richesse de la fiction s’enracine, en effet, dans la convergence de plusieurs histoires de France : celle d’une ville de province en particulier, Tulle, dont la célébrité contemporaine tient à son statut de fief électoral de deux présidents de la République, Chirac et Hollande ; celle du passé, puisque la préfecture corrézienne fut martyrisée au printemps 1944 par le passage de l’effroyable division Das Reich ; celle d’une industrie et d’un artisanat jadis florissants, et aujourd’hui relégués aux vitrines des musées. À la croisée de ces pistes potentielles se tiennent deux jeunes femmes, Delphine la Française et Charlotte l’Allemande. La première évolue dans les arcanes de la politique locale, s’occupant de la presse, donc d’un éventuel cliché du Président que prendrait, dans son ancien bureau municipal, la seconde, venue plutôt pour photographier la réalité de la paisible cité endormie. Charlotte découvrira, hors du programme balisé, le champ des martyrs et le spectre du massacre de juin. Sa réalité éludée, aussi, à savoir l’entente des notables de la ville avec les SS pour sacrifier les plus faibles, pauvres ou marginaux.

L’amour charnel entre les deux femmes sera aussi au bout de la nuit et cet autre voyage est filmé dans un mélange de crudité et de tendresse donnant un surcroît de force à une fiction affranchie, qui en dit beaucoup sur ce qui est glissé sous le tapis d’une nation frileuse et désabusée, à l’approche d’une échéance électorale de tous les dangers.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°117, 2015.

Réalisation et scénario : Sébastien Bailly. Image : Pascale Marin et Nicolas Voisin. Montage : Cécile Frey. Son : Marie-Clotilde Chéry, Mariette Mathieu-Goudier, Alexandre Hecker et Benjamin Viau. Musique originale : Laurent Levesque. Interprétation : Anne Steffens, Friedelise Stutte, Julien Cheminade, Thierry Chenavaud et Bernard Jacques. Production : La Mer à boire Productions et Ostinato Production.