Cahier critique 07/06/2017

“La ville bleue” de Armel Hostiou

Damien Bonnard et Sigrid Bouaziz se donnent la réplique dans ce court sélectionné l’année dernière à Pantin.

Dans l’obscurité se fait jour une histoire ; ainsi de La ville bleue, ainsi du cinéma. Aux contours flous, celle-ci intrigue davantage qu’elle n’affirme : deux personnages émergent et se meuvent, dessinant une trajectoire de plus en plus mystérieuse, plongeant dans les méandres d’un passé omniprésent et cependant insaisissable, ouvrant une faille dans un présent presque suspendu.

La ville bleue, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre – ou plutôt d’une reconnaissance magnétique – dont on ne sait qui de l’un reconnaît l’autre. Comme en constante mutation, les éléments se succèdent et s’entrecroisent, se mettent en doute, cohabitent, s’interrogent : identités troubles, évocation d’un passé inconnu, manières de se toucher orientent tour à tour l’intrigue sans s’exclure tout à fait. Il est de ces films qui épousent si bien le cinéma qu’ils s’en approprient les forces qui le travaillent.

En effet, le film joue au funambule entre présence et absence, tension primaire du septième art ; pourrait-il alors exister médium plus juste que le cinéma pour questionner la persistance de l’amour quand son objet même a disparu ? À égalité, présence et souvenir se font face, corps rêvé et corps vécu se frôlent et s’enlacent, puis disparaissent ; Armel Hostiou s’empare ainsi de toute la densité magique du cinéma, filmant les corps de ses acteurs dans leur distance comme dans le contact de la chair, en équilibre entre absence et présence.

Une temporalité flottante et trouble émerge de cette rencontre ; loin d’un prosaïque “ce n’était qu’un rêve”, l’ambivalence de l’existence, mise en exergue par le médium, persiste après le réveil. Ainsi de l’enfant qui, plutôt qu’une rupture, inspire une prolongation, l’onirisme revendiqué de la rencontre nocturne, loin d’être discréditée par la séquence qui la poursuit, y trouve son écho et fait vibrer le vide.

Alors l’omniprésence du motif de l’eau, dans son constant écoulement, intrigue : liant étroitement les deux univers à une image qui se répète, sa fuite infinie incite aussi à penser un renouveau.

Ainsi, “même” et “autre” cohabitent comme passé et présent dans La ville bleue ; équilibre précaire et poétique où l’incertitude côtoie la fascination.

Claire Hamon

Réalisation : Armel Hostiou. Scénario : Armel Hostiou, Jérémie Dubois et Jean-Baptiste Separi Prevost. Image : Frédéric Mainçon. Montage : Aurélien Manya. Décors : Aurore Casalis. Son : Clément Maléo et Simon Apostolou. Interprétation : Sigrid Bouaziz, Damien Bonnard et Marius Nicolleau. Production : Bocalupo Films.