Cahier critique 23/05/2018

“Juke-box” de Ilan Klipper

De l’enfermement de la rock-star Christophe, Ilan Klipper passe à l’infini des étoiles dans son long métrage sorti 2018, “Le ciel étoilé au-dessus de ma tête”.

Dans son documentaire Saint-Anne, hôpital psychiatrique (2010), Ilan Klipper avait effectué des visites à domicile qu'il n'intégra pas à son film; il fut néanmoins considérablement marqué par la situation d'êtres en perdition vivant dans une réclusion absolue. La déclinaison n'en est pas moins ici fictionnelle, inversant le rapport puisque le milieu médical constitue un hors-champ presque complet. Juke-box est un huis clos insulaire dont la dimension centripète s'accompagne d'une mise en scène arrimée à un certain Daniel Berthon, habitant d'un invraisemblable capharnaüm plongé dans l'obscurité.

Fiction, disions-nous… Sauf que le rôle principal est tenu par Christophe, sorte de roc à la fois puissant et fissuré de toutes parts. Le choix du chanteur conduit à une perpétuelle hésitation entre incarnation – d'un personnage – et matière documentaire, comme s'il s'agissait d'une pure présence scrutée par la caméra. Ceci occasionne un dialogue entre l'abstraction et son contraire, données redoublées par la sophistication du travail photographique en (peu)clair-(très)obscur.

Ilan Klipper capte ainsi une errance statique d'un point de vue physique et selon un double mouvement contradictoire. Celui de la mémoire ressassée – celle d'une star déchue du temps révolu du juke-box et du vinyl, d'avant la dématérialisation des sons et des “Nouvelles Stars” télévisuelles. L'autre mouvement est celui de la gestation de l'acte créatif, qui prend corps dans une sorte de voyage dans les arcanes et recoins d'une intériorité pour le moins tourmentée. Aussi, par le biais d'une recherche sonore entêtante faisant de Juke-box, à force de phrases musicales balbutiantes, bégayantes, naissantes, une trajectoire où du chaos finit par jaillir l'accord parfait : la grâce.

Arnaud Hée

Article paru dans Bref n°111 (2014).

Réalisation : Ilan Klipper. Scénario : Ilan Klipper et Alicia Harrison. Image : Lazare Pedron. Son : François Meynot. Musique : Christophe. Montage : Nicolas Boucher. Interprétation : Christophe, Sabrina Seyvecou et Marilyne Canto. Production : Ecce Films.