Cahier critique 02/06/2017

“Je marche beaucoup” de Marie-Stéphane Imbert

Prendre la route vers un horizon incertain, mais choisi.

Au bout de ses déambulations et de ses rencontres, Colombe prend la route vers un horizon incertain, mais choisi. L’image peut convoquer Gelsomina dans La strada de Federico Fellini, plus encore, avec ce plan ouvrant sur une ligne de fuite, celle du vagabond chaplinien se dirigeant vers une nouvelle aventure, promesse toujours tenue de sa propre réinvention. Si Je marche beaucoup ne correspond pas en tant que tel au genre, Colombe débarque dans le film littéralement de nulle part, à la manière d’un personnage burlesque, avec lequel elle partage aussi une difficulté d’être dans le monde. Le dialogue initial, embarqué dans une auto sur une route du Calvados, ne permet pas de caractériser Colombe. Elle s’installe ainsi dans le film : une matière meuble, opaque, à la fois vide et pleine, diffusant une troublante présence-absence.

Jeune femme d’une vingtaine d’années à la périphérie du monde, Colombe se met bientôt dans les pas d’un fait divers : Marilou, une adolescente, a disparu dans la région. Ce sera le fil conducteur en creux, que l’on suit, avec elle, par le biais des transmissions radiophoniques.

À l’occasion de cette première rencontre, la conductrice demande à Colombe si elle a peur ; un “non” franc est opposé à cette question. En effet, il n’en faut pas de peur – pour le personnage comme l’actrice qui l’incarne – pour se confronter ainsi aux rencontres et aux lieux. Quand elle traîne au bord de la route vêtue de sa robe légère, ainsi exposée à quelque forme de prédation malveillante, on pense à Suzanne au début d’À nos amours, aussi pour cet alliage de disponibilité et de détachement désenchanté. Ce lien avec le film de Maurice Pialat peut éventuellement se perpétuer dans un finale où se joue, avec le circassien Daniel, quelque chose qui est de l’ordre de la reconnaissance mutuelle, peut-être même de la filiation.

Colombe est une figure paradoxale, abstraite, constamment fuyante, mais aussi très concrète ; elle a quelque chose de spéculatif, car ce chapelet de rencontres se fait dans le sens d’une recherche de la connaissance (d’elle-même et des autres, on ne sait trop). Elle est comparable à une plaque sensible qui nous met en relation avec les gens, ainsi que les paysages, aussi bien leur présent que la mémoire qu’ils portent – par exemple, cet octogénaire évoquant son souvenir du débarquement des Alliés quand il avait neuf ans.

Film réflexif où il s’agit de mener une expérience d’actrice et de faire dialoguer les catégories dites fictionnelle et documentaire, Je marche beaucoup ne souffre pas des maux pouvant peser sur un cinéma à dimension théorique. Peut-être parce qu’il affirme avec franchise la fiction avec ses choix formels consistant non pas à singer le réel, mais à le déplacer sans cesse ; Marie-Stéphane Imbert tisse ainsi, patiemment, une belle toile, mélancolique et rêveuse.

Arnaud Hée

Article paru dans Bref n°121, 2017.

Réalisation et scénario : Marie-Stéphane Imbert. Image : Manon Blanc. Montage : Youri Tchao-Debats et Anthony Brinig. Son : Clovis Tisserand, Zoé Perron et Mikhael Kurc. Musique : Nicolas Salley. Interprétation : Colombe Grangier-Hewitt, Daniel Corbin, Marceau Charuel, Achille Desmichelis, Patricia Réau. Production : Everybody on Deck.