Cahier critique 03/05/2022

“Denis et les zombies” de Vital Philippot

Mathias emmène ses camarades tourner un film de zombies dans la maison de campagne familiale. Mais les autochtones ne voient pas le tournage d’un très bon œil et Denis, l’ami d’enfance de Mathias, va se révéler de plus en plus collant.

Deux coups secs sur une vitre et le film s’ébranle. Denis et les zombies aurait pu n’être qu’une mise en abyme amusante, un film sur un groupe d’étudiants parisiens venus tourner un film de zombies en province ; l’irruption de Denis, personnage à la sombre candeur, impose cependant au film une toute nouvelle dynamique.

En effet, à l’organisation concentrique primaire du court métrage s’ajoute alors une dimension duelle : le “film dans le film” passe ainsi au second plan lorsque, frappant à la porte, Denis s’invite avec un fragile et troublant aplomb dans ce cercle auquel il n’appartient pas et met malgré lui en exergue les relations – ou plutôt leur absence – du groupe d’étudiants avec l’extérieur. Jusque-là présentés comme deux univers distincts, parallèles et enchâssés (Parisiens et provinciaux, film de zombies et film), l’intrusion de Denis vient contester cet état. La frontière entre l’équipe de tournage et la commune devient alors perméable et appelle à des glissements entre le film et la “vraie” vie.

Ainsi le film de zombies, présenté par son réalisateur, Mathias, comme une “thématique de la différence” donne bientôt lieu à un syllogisme aussi cruel qu’efficace : Denis est un marginal, les zombies sont des marginaux, donc Denis peut jouer un zombie. L’enchâssement introduit par la mise en abyme première permet au film de se déployer par la voie de décalages ; progressivement, fiction et réalité de la fiction se mêlent dans une escalade abrupte.

Alors tout se dérobe ; les regards se font fuyants et l’inquiétude devient sensible dans les visages de ceux qui regardent. Les corps se cachent ou fuient le cadre de la caméra. Le temps du récit, enfin, se fractionne d’ellipses toujours plus brèves et rapprochées. Ces coupes sèches, tronquant les temps forts, ne laissent voir que la tension qui les précède et leurs contrecoups, conférant à la violence qui parcourt le film une densité âpre et rugueuse – tout en ne lui donnant pourtant que rarement voix.

Le film de Mathias et Denis et les zombies partagent peu ou prou la même thématique ; le second, cependant, se garde d’en déflorer les ressorts profonds et préfère se saisir d’un biais partiel plutôt que d’en explorer les causes. Le mystère ainsi préservé, Denis demeure, contrairement aux zombies, une existence irréductible et fascinante. Les quelques anecdotes sur son passé lui ont donné chair, mais ne parviennent pas à le circonscrire. De ses deux coups secs frappés à la porte jusqu’à sa fuite, il est tout à la fois rupture et lien, intrus et acteur, complexe et simple ; vivant oxymore d’une intuitive opacité qui confère à Denis et les zombies une richesse sémiologique constamment renouvelée.

Claire Hamon

À lire aussi : “Estéban, l'excentrique” dans Bref n°121, 2017.

France, 2015, 22 minutes.
Réalisation : Vital Philippot. Scénario : Vital et Just Philippot. Image : Benoît Feller. Montage : Cécile Frey. Son : Renaud Duguet et Joël Rangon. Musique originale : Alexander Zekke. Décors : Marion Prével. Interprétation : Estéban, Matthias Melloul, Franc Bruneau, Estelle Chabrolin, Anne Serra, Skander Agrebi, Arthur Orcier et Louis-Emmanuel Blanc. Production : Takami Productions.