Cahier critique 14/03/2018

“Clitopraxis” d’Emmanuel Laborie

Mais quel est donc cet organe sexuel si mystérieux ? Bonus : entretien avec Emily Loizeau, compositrice de la musique originale.

Le premier effet de malice ménagé par le quatrième court métrage d’Emmanuel Laborie est de conduire immédiatement une bonne partie de ses spectateurs vers des moteurs de recherche susceptibles de les éclairer sur cet organe méconnu et aux potentialités sensuelles peu ordinaires découvert par Thomas, son personnage principal. D’ailleurs, les recherches entamées par ce dernier prennent un tour savoureusement plausible, un peu comme dans un faux documentaire, au fil d’une définition de dictionnaire, de planches anatomiques à l’ancienne et même d’un supposé ouvrage de Simone de Beauvoir sur le sujet… On nous pardonnera donc de spoiler ce détail certes crucial : le “clitopraxis” n’est qu’issu de l’esprit, pour le coup facétieux, d’Emmanuel Laborie. Il se pose ainsi en centre de gravité d’une fiction entrecroisant les trajectoires de ses différents protagonistes (le film n’est en effet pas seulement axé autour de Thomas, mais se découpe selon des cartons portant les prénoms des autres personnages).

L’écriture s’appuie sur un flux de dialogues plutôt nouveau pour l’auteur et dont la dynamique soutenue assure non seulement une permanente drôlerie, mais donne parfois délibérément le tournis. L’enjeu est de mettre le spectateur dans la position volontiers paranoïaque de l’infortuné Thomas, submergé par des questions sans réponses et se voyant déporter aux frontières du réel – un récurrent motif de spirale psychanalytique doté d’une porte rappelle du reste certaines représentations “lynchiennes”.

Le nœud de la narration tourne autour de la valeur supposée libératrice de la parole, fondatrice de la thérapie freudienne (comme pour les différents disciples du praticien viennois) ; elle est ici au contraire source de confusion, creusant encore les angoisses, compliquant les relations familiales ou amoureuses, interdisant d’envisager tout retour en arrière (voir le lien entre Thomas et son “ex” Lucille, coupé à la suite d’un avortement).

Si l’échange de la conversation est inopérant, c’est sans doute avant tout parce que nul ne sait écouter ; Thomas ne se sent compris par personne, surtout pas par sa sœur Peggy (incarnée avec un brio toujours confondant par Laure Calamy), mais il semble lui-même incapable de constituer un interlocuteur valable, cultivant son insensibilité aux soucis de ses proches.

Une série d’évocations du sens de l’ouïe enrichit par ailleurs le tableau. Lucille enseigne auprès de malentendants et a choisi d’oublier Thomas et ses bavardages sempiternels avec un bègue ; Samuel, le mari de Peggy, ne cesse de se gratter l’oreille, gêné par un corps étranger poussant à cet endroit incongru, comme un possible reflet de ce “clitopraxis” révélé à Thomas lors d’une étrange relation d’un soir avec une fille rencontrée dans une fête et lui prodiguant une caresse buccale inédite. La trivialité potentielle de l’argument est évitée avec tact, la sensualité n’intervenant qu’en outil de quête d’une vérité, vers une éventuelle meilleure compréhension du monde.

Que le film commence et s’achève sur une référence à 2001, l’odyssée de l’espace n’est évidemment pas fortuit : le mégalithe kubrickien étant à sa façon une “clitopraxienne” porte vers l’inconnu.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°122, 2017 (complété par un entretien avec le réalisateur).

Réalisation, scénario et montage : Emmanuel Laborie. Image : Jean-Marc Bouzou. Son : Didier Baulès, Matthieu Deniau et François Fayard. Musique : Emily Loizeau. Interprétation : Franc Bruneau, Laure Calamy, Marc Citti, Guillaume Briat, Lucie Chabaudie, Frédéric Kneip, Alexandra Hökenschnieder, Deborah Grall et Annabelle Garcia. Production : Takami Productions.