Cahier critique 17/03/2017

"Au bruit des clochettes" de Chabname Zariab

Un premier film poignant sur l’esclavage sexuel en Afghanistan.

Depuis qu’il a reçu le Prix de la meilleure première œuvre de fiction à Clermont-Ferrand l’an dernier, Au bruit des clochettes a continué sa tournée des festivals français, glanant une belle moisson de récompenses. Pour son premier film, l’écrivain franco-afghane Chabname Zariab aborde un sujet tabou dans son pays d’origine : la pratique nommée le batcha bazi qui désigne l’exploitation de jeunes garçons enlevés à leur famille pour les produire en spectacle et les prostituer face à des groupes d’hommes.

Le beau parti pris de mise en scène consiste à construire Au bruit des clochettes sur la récurrence des scènes de danse auxquelles se livre son protagoniste. Simple évocation d’un spectacle qui cache et travestit le corps sous des voiles de couleurs autant qu’il l’expose, la première occurrence révèle toute l’ambiguïté du personnage de Saman. La finesse du montage de Guillaume Saignol amplifie progressivement ces scènes de représentation jusqu’au drame de son apothéose.Sous des traits féminins et des gestes pleins de grâce, c’est en effet un jeune homme que l’on découvre avec surprise, dont la délicatesse de la prestation contraste avec les manifestations brutales de la bruyante assemblée qui l’admire et le convoite. En centrant le regard sur la magie de la danse et la beauté de ses couleurs, la réalisatrice dépouille son regard du misérabilisme qui pourrait accabler son personnage, magnifiquement interprété par Shafiq Kohi, formé au Théâtre du soleil d’Ariane Mnouchkine.

En contrechamp du tumulte de ces soirées clandestines, le soleil aveuglant du jour révèle un monde d’apparences dans un village étrangement peuplé (comme le film) d’hommes uniquement. Tournées en Tunisie malgré le vœu de la réalisatrice de filmer dans son pays, ces scènes révèlent l’ambiguïté des relations de Saman avec son maître qu’il appelle Oncle Farroukhzad, s’adressant à lui comme un jeune fiancé entretenu. C’est dans la lumière de ces scènes de rues que la figure de ce personnage d’esclave adulé va se démultiplier en offrant à son propre regard son devenir, lorsqu’il entrevoit son prédécesseur. Hirsute, les yeux fous, l’homme, d’une dizaine d’années plus âgé que lui, survit dans une cabane de tôle à l’écart du village, rejeté par les habitants qui renient leurs propres turpitudes. Mais Saman se lie surtout avec son successeur, Bijane, jeune garçon timide que Farroukhzad lui demande un jour de former à sa danse de séduction. C’est, là encore, une idée d’une belle efficacité narrative que de se concentrer sur un récit au présent, tout en donnant à voir le passé et l’avenir hypothétique du personnage. Inclus dans la chaîne sans fin de cette funeste tradition, la beauté grandiose de sa fin apparaît comme une libération qui ne la rend que plus tragique.

Raphaëlle Pireyre

Réalisation et scénario : Chabname Zariab. Image : Éric Devin. Montage : Guillaume Saignol. Musique : Mir Maftoon et Faiz Karezi. Décors : Fatma Madani. Son : Juliette Heintz, Aymen Toumi et Olivier Guillaume. Interprétation : Shafiq Kohi, Arya Vossoughi, Fahrad Faghih Habibi, Sayed Ahmad Hashimi, Rami Knani, Sami Knani et Rafik Akili. Production : Les Films du Bal.