News 26/04/2021

Pas d’Oscar (hélas) pour Genius Loci

La nomination de l’œuvre d’Adrien Mérigeau restera comme une belle consolation, même s’il n’a pas remporté le trophée dans la catégorie des courts métrages d’animation. En revanche, un film en français a bien gagné côté documentaire.

Lauréat de l’Oscar du court métrage d’animation lors de cette cérémonie des Oscars 2021, If Anything Happens I Love You (visuel de bandeau) avait créé le buzz en étant visiblement très très visionné sur Netflix à la fin de l’année 2020 (donnant même lieu alors à un challenge sur TikTok pour qui pleurerait le plus en le regardant, ou pas du tout, enfin on n’a pas bien compris, à vrai dire…). Signé Michael Govier et Will McCormack, ce court métrage en animation 2D de dessin sur papier articule sa narration autour d’une perte, celle d’une enfant, en faisant peu à peu planer sur ce drame effectivement traumatisant l’ombre d’un massacre dans un établissement scolaire, du type de celui de Columbine.

À l’opposé des habitudes de l’animation européenne, on hésite peu sur le pathos ici et la musique vient souligner par nappes toute la tristesse de l’histoire, même si la vie revient peu à peu pour le couple de parents endeuillés (mais il y a un ange au-dessus d’eux, on est aux USA…), ce qui est, après tout, un choix assumé et il est possible de s’adonner à l’émotion induite. Mais la démarche est, en résumé, inverse à celle de Genius Loci, d’Adrien Mérigeau, œuvre avant tout mentale et laissant une place majeure au spectateur, qui se fait lui-même son film sur la base de sensations, sinon d’intuitions. La marche des Oscars était trop haute pour lui, avec ce panel de votants préférant toujours les rassurants balisages de narration, voir les succès répétés de Pixar dans la catégorie. Mais figurer parmi les cinq finalistes n’en restera pas moins un bel exploit pour cette production estampillée Kazak, qui prouve en outre la constance de la qualité au sein du secteur en France, toujours reconnue à l’échelle internationale. 

Il a aussi beaucoup été question récemment de Colette, d’Anthony Giacchino (photo ci-dessus, film à voir librement sur sa page Facebook), qui a remporté l’Oscar du court métrage documentaire. Le film est signé d’un réalisateur américain, comme son nom ne l’indique pas forcément, et prend comme sujet une résistante française vivant en Normandie, Colette Marin-Catherine, devenue l’héroïne d’un film l’emmenant en compagnie de Lucie, une jeune étudiante en histoire, vers le camp de concentration de Mittelbau-Dora, où son frère aîné mourut en déportation en mars 1945, trois semaines avant l’arrivée des troupes alliées.

La productrice Alice Doyard, française elle aussi, avait été contactée par le réalisateur désireux d’entreprendre des portraits de vétérans du débarquement et captivé par la figure de cette nonagénaire vivant à Caen, qui suscite en effet l’admiration et une certaine fascination, femme forte ayant lutté pour faire son deuil et se voyant ramenée vers cette plaie jamais vraiment fermée du passé. Sa compagne de voyage, âgée de dix-neuf ans et fragile jusque dans le geste et la voix, est née longtemps après les événements et n’est guère préparée, forcément, à affronter concrètement les stigmates de l’horreur absolue.

La rencontre entre ces deux tempéraments féminins contrastés, issus de générations tellement éloignées dans leur vécu, émeut au fil de très belles scènes intimes. La caméra capte même quelques instants rares, comme lorsque Colette interrompt avec autorité le discours, pourtant plein de compassion, du maire de Nordhausen qui l’accueille avec cette terrible culpabilité qui a accompagné la génération de tous les baby-boomers de l’autre côté du Rhin. En 2021, le motif de la déportation, et celui du rapport des jeunes générations à son égard, est en tout cas d’une importance capitale, nul besoin de faire un dessin au vu de l’état du monde et de nos prochaines échéances électorales.

Pour être complet sur le versant du format court, précisons que Two Distant Strangers de Rice et Martin Desmond Roe (photo ci-dessus) l’a emporté dans la catégorie fiction, s’aventurant sur un terrain de SF en jetant son héros dans une boucle temporelle. On imagine que le film figurera au menu des prochaines Nuits en or, organisée par l’Académie des Arts et techniques du cinéma et qui se profileront normalement pour le début du mois de juillet.

Enfin, sans toutefois entrer dans le détail des récompenses du côté du long métrage, on signalera tout de même que Chloé Zhao – qui est seulement la deuxième femme (après Kathryn Bigelow) à gagner dans la catégorie de la meilleure réalisation, soulignons-le – avait entre 2008 et 2011 signé plusieurs courts métrages avant Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015), son premier long remarqué à la Quinzaine des réalisateurs, qui précéda The Rider (2017) et donc Nomadland, également distingué comme meilleur film la nuit dernière.

Christophe Chauville

À voir aussi :

- Skin, de Guy Nattiv, Oscar 2019 du court métrage de fiction.

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