News 14/02/2017

Luce Vigo 1931-2017

Luce Vigo, disparue dimanche, appartenait à une génération longtemps moins assujettie au flux des sorties hebdomadaires et qui abordait le cinéma sans trop distinguer courts et longs métrages. De la place où nous sommes, nous ne pouvons donc manquer de rappeler les rapports que Luce a entretenu avec la forme brève.

Luce Vigo fut ainsi, quelques années à partir de 1988, déléguée générale des Rencontres d’Épinay et avait participé à notre revue en particulier à l’occasion d’un dossier consacré au Groupe des Trente (Bref n°20, février 1994). Le Prix Jean-Vigo, dont elle présidait les destinées, décerné chaque année à un « auteur d’avenir », ne manquait jamais non plus de couronner un réalisateur de court métrage.

Dominique Widemann, journaliste à L’Humanité, m’a proposé d’écrire quelques lignes en hommage à Luce. Je reprends ici ce texte, publié sur le site du quotidien et reproduit sur celui du Prix Jean-Vigo, complété par des entretiens donné par Luce à propos de son père et du prix qui porte son nom.

On savait Luce Vigo fragile pour l’avoir vue depuis plusieurs années embarrassée par son appareillage d’assistance respiratoire. Elle racontait en riant qu’il lui arrivait de vouloir se déplacer en oubliant d’emporter cet attirail auquel elle était pourtant en permanence reliée. Il faisait partie d’elle-même et, il y a une dizaine de jours quand je suis passé la voir pour parler d’un article à propos de Zéro de conduite qu’elle accepta d’écrire pour un prochain Bref, rien, dans son comportement, n’aurait laissé soupçonner une quelconque aggravation de son état.

Il y a longtemps que nous n’avions pas eu l’occasion de nous parler aussi longuement, nous devions nous revoir dans les prochains jours.

Son appartement, dont elle ne cessait de s’excuser de son désordre de piles de livres, de DVD et de tant d’objets – dans la cuisine, une quantité de cuillers en bois dont elle raffolait –, m’a toujours fasciné. Je l’associais confusément au cabinet de curiosité d’André Breton – aucun lien de parenté avec Émile Breton, qui partageait la vie de Luce et la responsabilité de ce décor surchargé.

Même si Luce Vigo, fille unique du cinéaste précocement disparu, eut toujours à cœur de ne pas galvauder la mémoire de son père, elle n’appartenait pas à la catégorie de ces « enfants de » qui existent prioritairement à travers la personnalité de leur géniteur. Ainsi, si son nom apparaissait comme un sésame pour nombre de cinéastes du monde entier qu’elle a pu croiser comme journaliste ou programmatrice, cela ne tenait pas seulement à l’estime que beaucoup portent au réalisateur de L’Atalante, mais à la personnalité propre de Luce, à la bienveillance qui émanait d’elle, une empathie que j’ai rarement sentie ailleurs avec une telle intensité. Cette attention aux autres allait de pair avec une réelle curiosité, deux traits de sa personnalité avec lesquels elle avait exploré et maintenus vivants les œuvres de son père et tous les souvenirs laissés par ses parents.

Son activité au sein du Prix Jean-Vigo relevait d’un engagement similaire au service de le jeune création avec des partis pris esthétiques rarement pris en défaut, qui faisaient que sa voix comptait beaucoup pendant nos délibérations. Elle quêtait dans chacun des films cette chose malgré tout difficilement définissable sur laquelle, bien souvent, nous nous trouvions en accord et qui s’appelle « le cinéma », ce cinéma né sous le signe des Lumière. Jean Vigo et sa femme Lydu ne pouvaient choisir meilleur prénom que Luce pour celle qui demeurera parmi les plus engagées des ambassadrices des forces vives du Septième art.

Jacques Kermabon

Ses obsèques se dérouleront le lundi 20 février à 10h30 au crématorium du Père Lachaise. Entrée Gambetta.