News 20/01/2021

Hommage : Jean-Pierre Bacri

La disparition de Jean-Pierre Bacri a sidéré et bouleversé le pays entier comme, bien sûr, notre équipe. Notre collaborateur Stéphane Kahn lui rend hommage.

1998. Un film très court cartonne. D’une part parce que, issu d’une commande publique, il traite d’un sujet d’actualité (le Sida) que d’autres collections (“3000 scénarios contre un virus”, “L’amour est à réinventer”) ont, quelques années plus tôt, abordé sous l’angle de la prévention, mais aussi parce qu’il met en lumière un comédien confirmé depuis la moitié des années 1980 et que la France entière adore. Celui-ci a déjà joué dans Cuisine et dépendances, de Philippe Muyl (photo ci-dessous), et Un air de famille de Cédric Klapisch, films éminemment populaires ayant assis son personnage et qui lui valurent, comme acteur ou comme scénariste, deux César. Surtout, entre 1997 et 1998, il y a eu Didier d’Alain Chabat, On connaît la chanson d’Alain Resnais (qu’il coécrit) et Place Vendôme de Nicole Garcia : le flic énervé de Subway est devenu une star, une figure incontournable du cinéma français. Au centre souvent, à la marge parfois, prisonnier déjà un peu, peut-être, d’une image très forte qu’il véhicule à la ville comme à l’écran.

Dans Un dimanche matin à Marseille. Béranger de Mario Fanfani, donc, Jean-Pierre Bacri excelle, incarnant en quatre minutes chrono ce personnage, ce caractère, que la postérité retiendra et que les réseaux sociaux unanimes pleurent cette semaine. Depuis trois jours, on n’a jamais autant parlé du “râleur” qu’il composait avec délectation, quitte à le réduire à cela, ce qui, évidemment, est bien dommage. Reste que dans ce court métrage, Bacri faisait encore/déjà on ne peut mieux ce que l’on aimait tant, ouvrant sa porte en bougonnant sur une voisine qui le dérangeait. Agacé, ouvertement méprisant, puis, à la lecture d’une lettre du fils de celle-ci (un prisonnier hospitalisé), laissant échapper cette tendresse, cette empathie qui toujours faisait se craqueler une dureté hautaine, souvent intimidante. En quatre minutes, tout était là.

Ce film court ne fut pas tout à fait une exception dans la carrière de Bacri – puisqu’on le retrouvait un an auparavant, aux côtés de ses complices Agnès Jaoui et Sam Karmann dans La méthode de Thomas Bégin, ou, encore un peu plus tôt, dans la comédie policière d’Olivier Doran, Perle rare – mais, de fait, l’acteur fut rare dans le format. Rançon peut-être d’une popularité acquise très tôt et d’une filmographie décidément pléthorique.

En revanche (et ce, finalement, dès L’été en pente douce de Gérard Krawczyk en 1987), Bacri fut au rendez-vous des premiers longs, dévoué aux plus ou moins jeunes auteurs s’étant révélé côté court, et cela encore plus à l’orée du XXIe siècle. Chacun aura ses préférences. D’aucuns citeront Les sentiments de Noémie Lvovsky, d’autres, évidemment, Le sens de la fête d’Olivier Nakache et Éric Toledano. Nous retiendrons encore plus volontiers le magnifique premier long de Nassim Amaouche (Adieu Gary, photo ci-dessus), le deuxième de Raphaël Jacoulot (Avant l’aube) ou l’adaptation de Jonathan Coe par Michel Leclerc (La vie très privée de Monsieur Sim, photo ci-dessous), soit trois films où Bacri essayait autre chose, surprenait, ne dissimulait plus ses fêlures sous l’ironie mordante, où il semblait composer, vraiment.

À la toute fin de Place publique d’Agnès Jaoui, tandis que se déroule le générique, un plan-séquence enregistre un moment de grâce : Bacri chantant Osez Joséphine de Bashung. Est-ce l’acteur sur le tournage ? Est-ce son personnage larguant tout cynisme dans un épilogue apaisé ? On ne sait plus. La scène est gratuite, pur moment de plaisir et d’abandon. Et c’est très beau. Encore plus, rétrospectivement, à l’aune de sa disparition, ce film-ci étant son dernier sorti en salle, avec Photo de famille de Cécilia Rouaud…

Écrire que Bacri manquera au cinéma français est un euphémisme. Dire que tout cinéphile quadragénaire s’est effondré lundi 18 janvier en fin d’après-midi est en-dessous de la vérité. Putain, fait chier, merde, on n’a pas fini de l’aimer, ce con-là !

Stéphane Kahn

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