News 06/03/2018

André S. Labarthe (1931-2018), du cinéma comme un coup de dé

Figure de la cinéphilie, cinéaste, essayiste, André S. Labarthe vient de disparaître.

Borsalino posé négligemment sur sa tête, cigarette papier maïs au coin des lèvres, sourire charmeur, yeux gris bleus pétillants de malice, André S. Labarthe était une figure pour le moins singulière de cette cinéphilie née sur les bancs de la Cinémathèque de Langlois.

Né le 18 décembre 1931 à Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Atlantiques, après des études classiques chez les Jésuites en Dordogne, une licence de philosophie à Paris, où il fréquente les galeries de peinture et la Cinémathèque, il devient, après son service militaire, un assidu des autres hauts lieux de la cinéphilie (Ciné-club du Quartier latin, Studio Parnasse…). Il y fait la connaissance de Bazin, Godard, Rivette, Rohmer, Truffaut, et écrit dans les Cahiers du cinéma à partir de 1956, mais, contrairement aux autres, quand il prend la caméra, c’est pour la télévision, un peu par hasard. Janine Bazin lui propose de créer avec elle Cinéastes de notre temps. L’idée était de filmer des entretiens au long cours avec des metteurs en scène, à l’image de ceux qui étaient publiés dans les Cahiers. Assez vite, ils prennent conscience de la différence entre une parole retranscrite sur papier, un texte plein, et ce qui se passe quand une caméra enregistre ; des gestes, des regards, des silences peuvent être aussi éloquents que les propos énoncés. Après avoir filmé John Ford sur son lit, malade, sourd et ne répondant pas aux questions qu’ils lui posaient, en retranscrivant ses paroles pour élaborer un montage un tant soit peu cohérent, ils se rendent compte que le résultat n’a aucun intérêt. Par contre, livrer tels quels les rushes donne un moment de cinéma magique, une rencontre. Ils ont ainsi peu à peu conçu leurs émissions comme des rencontres entre des cinéastes : Godard questionne Fritz Lang, Rohmer s’entretient avec Dreyer, Rivette parle avec Renoir…

Comme tous ceux qui laissent planer autour d’eux une aura de dilettantisme, Labarthe a été très prolifique. Quand, en 1993, nous avions réalisé un entretien avec lui (cf. Bref n° 16), le nombre de ses films dépassait déjà les 500 titres, la plupart pour le petit écran. Il n’a pas cessé depuis d’en réaliser, mais aussi de converser et d’écrire, d’une plume toujours brillante. Labarthe était aussi un écrivain.

Féru de littérature et de peinture, il n’a surtout jamais cessé de questionner le cinéma, concevant chacun de ses films comme un champ d’expérimentation. À l’en croire, il n’aurait jamais écrit un seul scénario ni fait reposer son travail sur un découpage, préférant toujours laisser les choses s’inventer sur le tournage. “Quand on a un découpage, nous disait-il, on peut très bien faire les plans. Ils seront là, bien articulés, les raccords seront bons, mais ce peut être sans intérêt. On aura éliminé le risque mais on aura éliminé en même temps le miracle. (…) Un film, c’est bien quand c’est un coup de dé et que le 421 sort.”

Un film ne relève pas d’une intention. “Le rôle du metteur en scène n’est pas de fabriquer du sens avec des images (…). Le problème du sens, c’est le problème du spectateur. La tâche du metteur en scène est seulement de s’arranger pour que le spectateur ne fabrique pas n’importe quel sens.”

On se souvient de Labarthe (Paul) au début de Vivre sa vie, de dos, à côté d’Anna Karina (Nana), au comptoir d’un café. Une scène de rupture. Ils vont ensuite faire une dernière partie de flipper. Paul cite une élève de huit ans de son père qui a expliqué sa préférence pour les poules : “La poule est un animal qui se compose de l'extérieur et de l'intérieur. Si on enlève l'extérieur il reste l'intérieur, quand on retire l'intérieur alors on voit l'âme.”

Ce lundi 5 mars 2018, André S. Labarthe a cessé de vivre sa vie.

Jacques Kermabon

Vivre sa vie, Jean-Luc Godard, 1962

 

André S. Labarthe - Patrick Messina / œil pour œil / 1993-2013, 20 ans de Photographies, avant le vernissage de l'exposition, filmés par Christophe Derouet.

 

Adieu Rita, un film de Labarthe pour Cinéma, cinémas.

La mort de Rita Hayworth, pendant le festival de Cannes.