Manuel ou anti-manuel de scénario ?
"Scénario et réalisation Modes d’emploi ?", aborde la question de la forme écrite dans ses interactions avec la mise en scène et la postproduction. Le livre est signé Luc Jabon et Frédéric Sojcher, lequel anime à partir du 25 janvier 2017 à la BNF, des rencontres avec des réalisateurs et scénaristes. Premier invité : Jean-Claude Carrière.
Les meilleurs manuels de scénario reconnaissent tous qu'il n'y a ni méthode ni recette en ce domaine, pas plus de règle pour enseigner ce type d'écritures, ils citent les auteurs qui les ont précédés, convoquent de déclarations de praticiens (réalisateurs et scénaristes) de renom, finissent toujours par invoquer Aristote et disent apporter leur propre pierre à cette matière éditoriale foisonnante. Écrit à quatre mains, le Sojcher-Jabon ne déroge pas à la règle.
La bibliographie (sélective) commentée qui figure en fin de volume donne un ultime aperçu des principaux ouvrages cités comme autant de pistes à poursuivre. On croise aussi dans Scénario et réalisation Modes d'emploi ? des réflexions glanées dans des manuels de scénario, des travaux universitaires, des analyses de films, des conseils de scénaristes, des propos de cinéastes (Michael Haneke : « on ne réalise pas un film avec des théories. (…) Si c'était le cas, tous les universitaires seraient de grands artistes. ») et, in fine, un rapprochement, qui pourrait paraître paradoxal, avec le dossier « Comment écrire un scénario ? Anti-manuel » des Cahiers du cinéma (n° 710, avril 2015).
Tous deux enseignants et praticiens (réalisateurs et scénariste), Frédéric Sojcher et Luc Jabon revendiquent leur double appartenance en achevant la plupart des chapitres par des témoignages personnels, éloignant ainsi encore plus leur ouvrage de toute affirmation dogmatique. Ils assument même à la fin avoir pu se contredire, convaincus qu'il n'y a pas qu'une méthode d'enseignement possible et encore moins de réponses « définitives » aux interrogations qu'ils ont avancées.
Poser des questions, creuser des pistes de réflexions, émettre des hypothèses, croiser des témoignages, proposer des exercices, l'ouvrage, quoiqu'organisé en chapitres clairement identifiés, procure plus un effet d'autant plus patchwork que leurs questionnements ne se cantonnent pas au régime de la fiction traditionnelle, mais aborde les formes du documentaire, de la série et du transmédia. Cette approche composite, finalement modeste et particulièrement pragmatique, apparaît comme mieux à même d'aborder avec honnêteté les ramifications complexes d'une affaire mille fois rebattue.
La principale singularité de leur approche est ainsi de ne pas s'en tenir à une conception étroitement « corporatiste » du scénario, mais d'envisager au contraire les interactions que cette forme écrite engage dans ses relations avec la mise en scène, étant entendu – on ne devrait pas avoir à le rappeler – que le tournage est aussi une écriture, tout comme, partie également abordée, la post-production. Ils citent ainsi Walter Murch, monteur attitré de Francis Ford Coppola : « Le montage n'est pas tant un assemblage que la découverte d'un chemin. […]
Faire un film, c'est comme apprendre une langue étrangère – sinon que celle-ci n'est parlée que par ce seul film. […]
Deux monteurs travaillant dans deux pièces voisines sur les mêmes rushes pourront donner naissance à deux films très différents. Chacun d'eux fera des choix différents quant à la structure du film, c'est-à-dire qu'il ne répondra pas de la même façon à la question : quand et dans quel ordre dois-je relier ces diverses informations ? »
Une bonne part de la difficulté tient à trouver le bon équilibre – la formule revient plusieurs fois sous leur plume – entre le dit et le non-dit, l'explicite et l'indicible et cet ajustement, jamais évident. La formule n’est pas magique, chaque film exige de la réinventer.
Jacques Kermabon
Frédéric Sojcher, Luc Jabon, Scénario et réalisation Modes d'emploi ?, Nouveau monde éditions, 2016, 26 euros.
Écrire pour le cinéma
Une série de rencontres animées par Frédéric Sojcher, N.T. Binh et les étudiants en master en scénario, réalisation et production de l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Tout les détails ici.
François-Mitterrand – Grand auditorium
Quai François-Mauriac - Paris 13e
mercredi 25 janvier 2017 – 18h30-20h00
Jean-Claude Carrière
Puis : Jacques Fieschi (1er février), Pascale Ferran (1er mars), François Ozon (15 mars), Bertrand Blier (29 mars).