Livres et revues 24/11/2020

La mécanique Lucas Belvaux est à lire

Voilà qui manquait vivement jusque-là : un livre consacré au cinéma de Lucas Belvaux, dont Des hommes est déjà le 11e long métrage.

Même si elle a été, comme tant d’autres, repoussée, la sortie du nouveau film de Lucas Belvaux, Des hommes (qui devrait sortir finalement le 6 janvier 2021, ndlr), a donné l’occasion à l’ACRIF (Association des cinémas de recherche d’Île-de-France) et aux Éditions Playlist Society de publier un petit ouvrage précieux sur le cinéaste belge, comme les deux structures le firent précédemment autour de Pierre Salvadori ou de Valérie Donzelli. 140 pages compactes et un principe similaire : un entretien chronologique, film après film, précédé d’un essai sur l’œuvre du cinéaste.

Si Lucas Belvaux ne tourna pas de courts métrages avant son premier long (tant par choix pragmatique que par besoin de développer ses premiers récits dans la durée) et si nous n’avons jamais écrit ici à son sujet, nous avons toujours aimé ses films, leur engagement, leur rigueur, cette manière aussi de passer sans forcer d’un genre à l’autre, permettant parfois même de dresser des ponts inattendus à travers le cheminement d’un personnage qui, à peu de choses près, pourrait être le même d’un film à l’autre (significativement les deux jeunes femmes incarnées par Émilie Dequenne à trois ans d’écart dans Pas son genre puis dans Chez nous – deux films formellement très différents).

Par ailleurs, on rappellera, pour justifier ces lignes, que nous avons à l’inverse abordé dans Bref plusieurs films réalisés par Louis Séguin, critique aux Cahiers du cinéma et auteur du texte introductif de ce livre. Si ses moyens métrage Les ronds-points de l’hiver (coréalisé avec Laura Tuillier) ou Bus 96 présentent peu de points communs avec le cinéma de Belvaux, la précision avec laquelle Séguin aborde la filmographie du réalisateur rattrape le manque criant de considération accordé à son œuvre jusqu’alors, quand bien même les films du cinéaste furent à chaque fois généralement plutôt bien accueillis par la critique.

Pour nous qui les vîmes tous, les appréciâmes presque tous au fil du temps, la lecture de cet ouvrage permet de nous les remémorer, de les rapprocher et nous donne surtout envie de les revoir. Ce que la sortie ramassée, en 2003, des trois films de sa “Trilogie” mettait en évidence, les années séparant chacun de ses longs métrages ultérieurs avaient pu le faire perdre un peu de vue. Et l’entretien mené par Quentin Mével dessine, à la suite du texte de Séguin, une trajectoire profondément cohérente, des préoccupations saillantes et une approche de la mise en scène et de la réalisation (deux notions que Belvaux tient à distinguer) où les questions de point de vue, de distance, sont fondamentales, faisant de lui un disciple avéré de Fritz Lang.

En se renouvelant film après film, en explorant chaque fois de nouvelles formes, de nouveaux décors, de nouveaux procédés (dernièrement, la voix off dans Des hommes), en expérimentant des greffes improbables (Melville, Loach et le western dans La raison du plus faible), Lucas Belvaux semble bel et bien poursuivre au long cours la passionnante expérience sur les genres et les personnages entamée avec la trilogie Un couple épatant/Cavale/Après la vie.

C’est dire comme son œuvre, relativement discrète et nécessairement inégale, s’avère, au fond, essentielle. La mécanique Lucas Belvaux a le mérite, rétrospectivement, d’imposer cette évidence.

Stéphane Kahn


La mécanique Lucas Belvaux
de Quentin Mével et Louis Séguin, collection “Face B”, éditions Playlist Society, 144 pages, 8 euros.
Paru le 17 novembre 2020.

Photos de Des hommes : © Synecdoche / Artémis Productions.

À voir aussi :

- Bus 96, réalisé par Louis Séguin, en ligne actuellement sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Pierre Salvadori, le prix de la comédie, paru chez Playlist Society en 2018.