Festivals 14/04/2017

Rencontres de Brive 2017 – le court a les moyens

Les Rencontres européennes du moyen métrage, en Corrèze, ont une nouvelle fois comblé les spectateurs. Cinq jours denses mêlant rétrospectives, films contemporains d’une sélection majoritairement française – notamment en raison du peu de films de durée moyenne d’autres pays européens – et un panorama de moyens métrages américains pour la plupart inédits en France.

Les hommages aux auteurs classiques ont permis de reprendre une bonne distance de regard face à la diversité de la sélection contemporaine : Expérience (1973) et Le costume de mariage (1976) d'Abbas Kiarostami, réalisés dans le cadre de l’Institut pour le développement culturel des enfants et adolescents en Iran, font partie des plus beaux films du festival. Chacun retrace par la fiction le quotidien et le travail, solitaire et rude, des enfants de Téhéran. Avril (1961) d'Otar Iosseliani a fait l'ouverture du festival, avec une copie conservée depuis quelques années par la Cinémathèque française, mêlant sa musique géorgienne éternelle à celle des Balkans dans Il était une fois un pays (1993), version télévisuelle (et originale) d'Underground d'Emir Kusturica, projetée sur trois jours.

                       

Expérience d'Abbas Kiarostami et Avril d'Otar Iossseliani

Le Panorama du moyen métrage américain contemporain s’est attaché à rendre visible un cinéma rare en Europe, réellement indépendant des studios, pouvant exister grâce “aux financements participatifs, aux organisations de cinéastes en réseau et à la distribution hors circuit classique de la salle” (Franck Beauvais, programmateur du Panorama). Citons en particulier Dance Party, USA (2006) de Aaron Katz et The Illinois Parables (2016) de Deborah Stratman. Le premier raconte le quotidien d’adolescents de Portland, la monotonie des fêtes et des histoires superficielles entre filles et garçons, bientôt rompue par le début d’un amour. Deborah Stratman reprend dans son film plusieurs temps de l’histoire de l’Illinois – d’où elle est originaire – redonnant vie au passé à travers ses traces dans le paysage, des images d’archives et plusieurs citations éclairantes de Ralph Waldo Emerson, Alexis de Tocqueville…

Aperçu de la compétition

À discrétion de Cédric Venail prend une forme cinématographique risquée, celle d'un long dialogue, dénué d'action et de mouvement. L'histoire est étrange ; un producteur (Sharif Andoura) vient rencontrer un ami de son oncle (Jacques Nolot), pour qu'il lui parle d'un lieu tenu secret où des hommes restent des heures dans le seul but de regarder ceux qui passent, sans entendre un son et sans être vus eux-mêmes. L'ami raconte ainsi pendant près de trois quarts d'heure cette expérience du lieu, des choses vues.

Mais il ne s'agit pas de croire à la possibilité d'un tel endroit. Celui-ci devient le symbole  d'un temps laissé à une autre manière de regarder. Pas de spectaculaire, pas d'action – c'est alors que les passants semblent jouer la comédie devant ce lieu, créer des accidents, être violents, que l'homme décide de ne plus y aller – mais des gestes simples de la vie qui ravivent des souvenirs passés ou laissent voir des êtres humains, des détails invisibles sans cet endroit où l'attention est réveillée.

Surgit alors un possible second sens du film : ce lieu est-il en même temps une sorte de cinéma ? Le récit de cet homme est-il le film que nous nous devons d'imaginer à travers ses paroles, le film que le producteur fera peut-être, Cédric Venail questionnant ainsi plus profondément toute la forme cinématographique, et tenant à capter, muscler l'imagination du spectateur à travers des mots seulement, et redonnant au langage sa force ? Ce récit peut être en effet le point de départ d'un essai formel, pensé selon l'idéal de regard que cet homme décrit – idéal qui n'existe plus –, mettant le producteur à l'épreuve de rendre possible.

                   

                 À discrétion a remporté le Grand prix France ex aequo. Il sera en outre en sélection au festival Côté court de                      Pantin en juin prochain.

Plus simple d’apparence, Le film de l’été d’Emmanuel Marre, Grand prix au Festival de Clermont-Ferrand, n’a pas pourtant la légèreté que pourrait annoncer le titre. Le film raconte les quelques jours que passe un homme (Jean-Benoît Ugeux) avec un ami et le petit garçon de celui-ci, dans des lieux en bordure d’autoroute, une aire de camping en particulier – des lieux de passage. Le père attend de rendre l’enfant à sa mère. L’autre est en plein désarroi, mais ment et prétend devoir se rendre à un rendez-vous de travail. 

Un lieu comme l’aire d’autoroute n’a rien d’idyllique. Mais par sa géographie, à part de la ville, de la vie active, il crée un temps entre parenthèses, à l’abri des pressions. À Lyon, là où l’homme quitte d’abord ses compagnons de route, il tente de se suicider, puis le regrette… On rit tristement de cet évènement plutôt tragi-comique que dramatique.

Revenu entre le père et le fils, puis seul avec l'enfant (le père étant occupé ailleurs), l’homme reprend des forces grâce à la présence du petit. Quelques scènes de leur quotidien le suggèrent. Lors de l’arrivée de la mère, qui marque la fin de ce temps protégé, Jean-Benoît Ugeux a un regard bouleversant, sombre mais qui éclate dans un plan pourtant large et déjà ébloui par le soleil d’été. Le film s’équilibre ainsi entre la simplicité du présent aux côtés d’un enfant, symbolisée par les couleurs du film claires, pastel, couleurs de l’été, et la perdition de l’homme devant sa vie, tonalité à laquelle on retourne finalement – fatalement – pour retrouver la solitude et la ville.   

                   

                                                  Le film de l’été a reçu une mention pour le Grand prix Europe.

Et il devint montagne de Sarah Leonor, réalisatrice des longs métrages Au voleur et Le grand homme, raconte d’une autre façon la difficulté d’être. Lucien (Franck Beauvais) part vivre seul dans les montagnes vosgiennes. Comme le dit la réalisatrice, le film se fait proche d’une certaine culture japonaise, un haïku terminant le récit, et la nature filmée comme temps de respiration, pilier d’un rythme dont le personnage veut dorénavant faire partie, loin du monde qu’il a quitté, où règnent ces mots qu’il ne supporte plus “qualification, reconversion, option…”. Mais cette révolte est avant tout déduite, plus que palpable, le rythme étant justement si lisse, doux, et, bien que la fermeté de l’homme dans sa décision soit évidente, il manquerait un instant de rupture où cette colère, cette vulnérabilité s’exprime. Peut-être est-elle en fin de compte, sans mots, dans cette image finale frappante de la cabane qu’il construit après avoir quitté son premier campement, sans plus de matériel, mais composée uniquement d’éléments de la nature, et se faisant prolongement même des rochers ; l’homme, invisible, comme lui-même transformé en nature.

                                                                              

Du film de Pamela Varela, situé en Guyane et tourné en partie en créole, Madame Cléante n’ira pas au cimetière, on se rappelle avant tout la procession de fin à travers la ville pour l’enterrement de Madame Cléante, interprétée par la chanteuse Josy Masse. Le film commence avec une forme quelque peu alambiquée, inspirée du réalisme magique d’Amérique du Sud – d’où vient la réalisatrice – juxtaposant passé et présent, vivants et morts, et proche en même temps de la culture de l’île. L’enterrement permet au film de retrouver un temps présent concret, bien qu’en même temps enchanteur, de lui apporter de l’ampleur – les couleurs chaudes et éclatantes du paysage sur lesquelles les robes blanches des vieilles dames de l’île se détachent et le chant final puissant entonné autour de la tombe.

                                                                          

Dans cette édition, beaucoup de films ont joué avec la frontière entre documentaire et fiction. Madame Saïdi, vieille dame iranienne, actrice de feuilletons, filmée dans le documentaire de Bijan Anquetil et Paul Costes, ne parvient, elle, jamais à comprendre la différence entre les deux genres (documentaire pour elle signifie : les films tournés à la maison, dont font partie les séries dans lesquelles elle joue) et se plaint de ne pas avoir de dialogues, de devoir faire ce travail elle-même. Elle prend alors en charge le film, provoquant des situations qu'elle met en scène avec d'autres, comme le mollah ou les fidèles de la mosquée du quartier, devenus ses acteurs involontaires. Elle participe à une conférence pour les mères des Martyrs, les hommes tués durant la guerre Iran-Irak, pour que le film soit “bon”. Elle montre une fois les photos du fils décédé. Sont mélangées celles de son vivant parmi les autres soldats, et celles de sa mort, allongé sur le sol une balle dans le corps. Elle répète à chaque fois rapidement son nom, la voix semblable, qu'il soit mort ou vif. Son émotion est toujours ainsi, invisible, mais sans qu'on la perçoive, elle, comme insensible. Que le film soit sans commentaires sur la politique de l'Iran fait du bien et permet de sentir le pays, de regarder sans opinion.

C’est finalement la fiction qui apparaît comme la seule façon de provoquer, chambouler la femme. Dans un taxi, le chauffeur-acteur met de la musique pour qu'elle arrête enfin de parler. Madame Saïdi écoute à contre-cœur, mais quand elle ne comprend plus les paroles, elle demande avec empressement ce qu’a dit la chanteuse, et apparaît un court moment fragile, enfant, perdant pour la première fois la maîtrise de la situation. La fiction la découvre alors un instant d’une autre manière. Étrange, dans un documentaire, de voir la fiction dévoiler un temps de vérité d'un être humain.

                     

                                                             Madame Saïdi a remporté le Grand prix France ex æquo.

 Pas comme des loups de Vincent Pouplard, qui suit Roman et Sifredi, jumeaux orphelins, sans travail, sans argent, ne s'approche pas de la fiction ; mais ces deux garçons aiment à faire de leur quotidien une petite scène. Au gré de leurs déplacements dans des caves d'immeubles, des squats, des cabanes, le réalisateur filme leur discussion, la vie de tous les jours. Quand il demande à l'un ce qu'il veut faire de sa vie, celui-ci répond “rien” d'une manière ferme et gaie, qui montre que ce rien veut dire avant tout : rien de professionnel, de tracé. Mais leur quotidien semble à certains moments riche et libre, pas du tout oisif, sans vouloir utiliser des mots comme “rebelle” ou ”hors du système” qu'on entend dans le film et qui semblent faciles.

Quand Roman parle, le rythme de ses mots est proche du rap, appuyant certaines sonorités ; quand il s'énerve aussi, ce sont de grandes paroles, sérieuses et naïves. Ensemble, ils écrivent – les frères et leurs amis autour d'une table, silencieux ; le rap sur l'école abandonnée où ils dorment, dans le soleil couchant – et c'est cela qui prend la plus grande place dans le film : la parole et le sens des mots, jetés parfois comme des éclairs, jusqu'à ce long dialogue final dans la forêt, filmé en un plan fixe, revenant vers l'image d'une scène, mais spontanée et en même temps, cette fois, plus lente, hésitante, sans la force rythmique des rimes, qui donne corps à leur vie.

                        

 Pas comme des loups, film d'environ une heure, est actuellement au cinéma. Il a reçu une mention pour le Grand prix France.

Après ce festival éclectique de la belle ville de Brive-la-Gaillarde, nous espérons prochainement mettre en ligne sur notre site plusieurs films de la sélection, une manière de continuer à les rendre visibles alors que la diffusion du moyen métrage demeure difficile. En attendant, retrouvez les films du palmarès les 24 et 25 avril au cinéma l’Archipel à Paris.

Léocadie Handke