Festivals 07/04/2022

Le “Border Crossing - Children’s Film Festival”, né de l’urgence et de la solidarité

Alors que la guerre déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine se poursuit depuis plus d’un mois, une initiative solidaire de projections de courts métrages jeune public a vu le jour à la frontière polonaise à l’attention des réfugiés. Nous voulions bien sûr mettre en pleine lumière cette opération plus que louable.

Sur les fils de conversations de Facebook, ces dernières semaines, au milieu des news toutes plus terrifiantes les unes que les autres, nous avons pu assister à la naissance d’un festival bien particulier : le Border Crossing - Children’s Film Festival. Créée par les Polonaises Bianca Lucas (programmatrice des courts métrages au Festival de Sarajevo et réalisatrice) et Weronika Jurkiewicz (réalisatrice), cette initiative prise quelques jours à peine après la première attaque de la Russie sur le territoire ukrainien, alors que les files de familles grandissaient à la frontière de la Pologne, a suscité un mouvement impressionnant de solidarité des “professionnels du cinéma” envers les réfugiés.

En lançant un appel à courts métrage muets et accessibles au public le plus jeune,  Weronika Jurkiewicz (photo ci-dessous à gauche) et Bianca Lucas (photo ci-dessous à droite) ne pensaient pas recevoir autant de réponses et de soutiens. Dans le but de faire passer aux enfants un petit moment hors du réel, Le Border Crossing - Children’s Film Festival a été inventé dans l’instant, avec l’énergie et la volonté de bénévoles engagés. Après à peine un mois, il commence à rayonner dans des festivals européens, et invente un modèle inédit à ce jour. Nous avons discuté avec sa co-fondatrice, Bianca Lucas.

 

D’où vous est venu cette idée de festival de courts métrages pour les enfants à la frontière ?

Quand la guerre a commencé, j’ai vu un post de Weronika qui allait à la frontière, et je lui écris que j’aimerais pouvoir faire quelque chose, utiliser mon réseau. Je pense que c’est vraiment parce que je travaille au Festival de Sarajevo que j’ai tout de suite eu ce réflexe : qu’est-ce qu’on pouvait faire, à travers le cinéma, pour aider un peu les gens qui souffrent ? J’étais très inspirée par l’histoire du festival, cet esprit est toujours très présent. Il a été créé pendant le siège de Sarajevo, pendant la guerre, pour donner de l’espoir aux gens, attirer l’attention du monde et se focaliser sur autre chose que la catastrophe. En tant que programmateur, réalisateur, professionnel dans le cinéma, on voit tellement rarement l’impact que le cinéma peut avoir sur une communauté. Au Festival de Sarajevo, on le sent très fort !

Comment fait-on, d’un point de vue individuel, pour lancer une telle initiative au milieu de ce qu’on peut imaginer comme très chaotique ?

La seule chose que je pouvais offrir c’était mon réseau, mes capacités d’organisation. Lorsque Weronika est arrivée à la frontière, elle a suggéré de faire quelque chose pour tous ces enfants et leurs mères qui attendaient des journées entières. On a donc lancé l’idée de projections pour occuper les petits enfants. À la frontière il y des centres d’accueil de réfugiés, organisés dans des écoles, des gymnases, des Tesco…

Au bout de quelques jours il y a des bénévoles qui ont organisé des sortes de garderies, à petite échelle, pour occuper un peu les enfants et offrir un peu de temps à leurs mères. Nous avons proposé de projeter des films dans ces lieux. Quelqu’un, à Varsovie, nous a donné un super projecteur, on a reçu beaucoup de support, et notre appel à films a eu un succès incroyable. Des programmateurs du monde entier, des producteurs, des distributeurs et des réalisateurs nous ont proposé des films libres de droits. On a reçu environ 800 courts métrages !

Comment évolue le festival, créé il y a un peu plus d’un mois ?

On pense maintenant aux grandes villes en Europe, notre prochaine étape, pour aider les gens à s’intégrer dans ces nouveaux lieux. Nous travaillons aussi avec les ONG, et surtout avec des institutions du cinéma comme la Wroclaw Film Foundation, qui projette les programmes dans plusieurs centres de réfugiés et même dans la gare. Mais aussi avec Cracovie, Poznan, “Film Anima” à Budapest, et aussi en Italie, en Suisse, à Berlin…

Aujourd’hui, notre travail à Weronika et à moi consiste surtout à élaborer des programmes adaptés et libres de droits, à faciliter la communication et ce sont nos partenaires qui se chargent d’organiser les projections là où ils savent pouvoir toucher les réfugiés, et selon une charte que nous avons mise au point, qui inclue la gratuité des séances.

L’élaboration des programmes est une vraie responsabilité : comment l’abordez-vous ?

Quand nous avons reçu les films, nous étions trois à les regarder pour établir des programmes qui nous semblaient adaptés. Mais nous voulons maintenant les faire valider par des psychologues spécialistes des traumatismes sur les enfants et du stress post-traumatique. À Varsovie, une université est spécialisée dans ce domaine et nous allons travailler avec elle. Nous allons pouvoir ainsi créer des programmes pour différentes tranches d’âge.

Nous voulons pouvoir toucher les adolescents aussi, par exemple… Nous pourrons offrir à tout organisme ou institution qui nous le demandera des programmes adaptés aux enfants dans cette situation tragique.

À un niveau plus personnel, par quoi avez-vous été la plus marquée au fil du mois écoulé ?

Ce qui se passe nous a ouvert les yeux sur les conditions de vie des réfugiés, et cela n’a rien de nouveau et ne se limite pas à l’Ukraine. Notre initiative pourrait être utile dans bien d’autres contextes. Les films muets pour enfants sont un outil de communication universel. Nous tentons d’établir des connections entre l’humanitaire et le cinéma, et nous apprenons énormément. Quand je vois l’ampleur de cette catastrophe, je me dis que ce que l’on fait est une goutte d’eau. Mais pendant ces quinze ou trente minutes, des enfants se réunissent devant un écran et peuvent penser à autre chose, même si leurs mères doivent ne pas faire semblant que tout va bien. C’est aussi pour nous un geste très symbolique, pour leur dire qu’ils sont les bienvenus.

Propos recueillis par Laurence Reymond le samedi 2 avril 2022
 
Photos : © Border Crossing - Children’s Film Festival.