Festivals 29/05/2019

Cannes 2019, suite : retour sur la compétition “courts métrages” officielle

Il est temps de revenir sur les courts métrages de la sélection officielle, qui a vu “La distance entre nous et le ciel” de Vasilis Kekatos remporter la Palme d’or du court métrage.

Cette fois encore à Cannes, le court métrage n’était pas en reste... Les passionnés du format court ont pu profiter des nombreuses sélections en et hors compétition, dans les différentes sections : Quinzaine des réalisateurs, Semaine de la critique, Sélection officielle. Cette dernière s’est offert cette année un panel de 11 films entre 7 et 15 minutes, pour une séance d’une durée de 2h30. Plus le temps avance, plus on s’y enfonce dans les méandres de l’âme humaine et ses croyances, luttant contre la solitude, se battant pour vivre. Ce qui frappe d’abord dans cette sélection, c’est l’universalité de la douleur et de l’adversité, et surtout la capacité du cinéma à la saisir, la traduire, la rendre compréhensible par tous.

Qu’il vienne d’Albanie, de France, de Suède, d’Argentine ou d’Israël, l’humain est en proie à des démons, des difficultés, qu’il se doit d’affronter, qu’il dépasse parfois mais pas toujours. Il se dégage de la plupart des films un sentiment renversant de solitude. Si Alain Dumaria, dans le documentaire Le grand saut de Vanessa Dumont et Nicolas Davenel (photo de bandeau), réussit à sortir de son mal-être en grandissant, l'Anna du film éponyme de Dekel Berenson (photo ci-dessous) se sent seule dans une soirée pourtant faite pour les rencontres. Il suffit d’un plan pour mettre le spectateur dans la peau de cette femme exclue de la société, qui reste à l’écart de tout, même d’une bataille générale déclenchée par un geste déplacé. Des sentiments négatifs partagés partout, mais aussi à tout âge. Les angoisses de l’enfant sont à vif dans le bouleversant L’heure de l’ours d’Agnès Patron. Ce court métrage d’animation mêle la jalousie portée à l’amant de la mère et la peur de la solitude à l’imaginaire débordant des enfants. Les dessins à la craie tracent les émotions, les transforment et les griment. Un film poétique et métaphorique, tant dans la narration qu’à l’image, où le noir et blanc n’est contrarié que par la tache rousse et persistante des cheveux du petit garçon forcené.

 

 

 

 

 

 

 


Les courts de l’Officielle nous ont prouvé – si besoin était – l’empathie du cinéma, qui s’exprime d’autant de façons qu’il y a de films. Chaque réalisateur a poussé son dispositif et son esthétique dans leurs derniers retranchements, donnant une impression d’accomplissement et de saturation des émotions. Les cinéastes n’ont pas peur d’aller au bout de leurs idées, quitte à choquer. All Inclusive, de Teemu Nikki, met en scène l’histoire de Kalervo, un homme malheureux, trompé, persécuté au travail, à qui une collègue offre un bracelet lui donnant le pouvoir de forcer les gens à lui obéir. Il demande à sa femme de tourner sur elle-même ; elle s’exécute. Les idées de vengeance qui naissent alors dans la tête de Kalervo sont diverses et variées, plus imaginatives et cruelles les unes que les autres. Teemu Nikki accompagne son scénario d’une mise-en-scène et d’une photographie froides, métalliques et efficaces, en harmonie avec son traitement du son. Une sorte d’art total de la création du malaise.

Elin Övergaard met la même application à dépeindre une société où personne ne s’écoute dans Ingen Lyssnar. Les plans s’affrontent plus qu’ils ne s’enchaînent, matérialisant l’hermétisme de chaque personnage, alors même qu’ils avanceraient mieux s’ils prenaient la peine de s’écouter. Pour illustrer ce phénomène, Övergaart parle de l’immigration et des problèmes d’intégration qu’elle pose. The Van de Erenik Beqiri (photo ci-contre) traite aussi de ce sujet d’actualité mais en prenant le problème par l’autre extrémité : l’émigration. Ben est prêt à tout pour quitter l’Albanie avec son père, même à frôler la mort. La violence contenue dans ce film rend d’autant plus cruel l’accueil réservé aux migrants dans Ingen Lyssnar

Toutefois la création d’atmosphère ne sert pas uniquement à sensibiliser le spectateur et le mettre face à une réalité, mais aussi à mettre en place une ambiance fantastique, comme dans White Echo de Chloë Sevigny (photo ci-dessous à gauche), où un groupe de jeunes filles s’essaient au spiritisme. La recherche formelle présente dans tous les courts métrages est  rendue particulièrement marquante par l’utilisation de différents formats au sein d’un même film, et notamment l’alternance du 4:3 avec le 16:9. Au delà du cadre, de la lumière, c’est l’écran tout entier qui s’adapte aux émotions et aux corps. C’est le cas de la mention spéciale Monstruo Dios d’Agustina San Martín, qui semble utiliser le 4:3 pour resserrer l’espace-temps, voire arrêter le temps. Même si le film passe de la nuit au jour, il s’en dégage une simultanéité qui permet de voir autrement le monde, de voir dans ces grandes antennes des formes arachnéennes se détachant du ciel. Et le format nous enferme, nous force à plonger notre regard dans celui de ces vaches qui nous fixent, dans les yeux de la jeune femme assise dans une voiture.

 

 

 

 

 

 

Au milieu de ces ambiances oppressantes se détachent des respirations. L’humour de Parparim de Yona Rozenkier (dont le premier long métrage, Un havre de paix, sortira le 12 juin) équilibre la gravité d’un père malade qui refuse d’aller à l’hôpital. La justesse de la relation entre le père et le fils et la légère effronterie de ce dernier apportent beaucoup de douceur, aussi légère que les battements d’ailes d’un papillon. La Siesta de Federico Luis Tachella démarre sur un plan séquence gracieux et souple, à l’image de la tendresse qui se dégage des autres plans. La solitude d’une vieille dame est trompée par les caresses d’un jeune homme dans un instant volé, suspendu, où rien ne compte que la lumière et les doigts sur la peau. Ici le 4:3 est utilisé pour rapprocher les corps en dépit des idées reçues, dans une sensualité évidente. De la même manière, Vasilis Kekatos crée l’érotisme discret entre deux inconnus sur une aire d’autoroute dans La distance entre nous et le ciel (photo ci-dessus, à droite). Là encore, il est question de solitude, de la recherche d’un être à aimer, du besoin de l’homme de séduire et d’être aimé. Avec humour et ironie, sans tomber dans des lieux communs ni dans la grossièreté, le réalisateur, qui a décroché la Palme d’or, raconte non pas le début d’une belle histoire, mais l’hypothèse d’un coup d’un soir...

Anne-Capucine Blot


À lire aussi :
La Palme d'or du court 2019 est franco-grecque !
Retour sur les courts de la Quinzaine des réalisateurs 2019, épisode 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L'heure de l'ours d'Agnès Patron