En salles 14/12/2016

Yann Gonzalez a carte blanche à la Cinémathèque

Dans le cade de ses cycles consacrés à l’avant-garde, la Cinémathèque française a confié la programmation de six séances, de ce vendredi 16 décembre (à 19h30 et 21h30) jusqu’au mois de février, à Yann Gonzalez. Nous avons questionné ce cinéaste que nous apprécions depuis plusieurs années sur cet événement dont l’indispensable Nicole Brenez est à l’origine.

Dix ans après By the Kiss, un lieu aussi prestigieux que la Cinémathèque française vous confie une carte blanche. Comment avez-vous réagi à cette proposition, est-ce une sorte de consécration ?

Tout sauf ça ! Plutôt un cadeau magnifique, que j’ai accepté parce que je me considère autant comme un cinéphile que comme un cinéaste. D’ailleurs, je ne voulais surtout pas montrer mes films, hormis le court métrage que j’ai tourné cet été et qui sera projeté pour la première fois à cette occasion. J’ai l’impression d’en être encore à mes balbutiements en tant que réalisateur, et j’avais davantage envie de programmer des films qui m’ont marqué ou inspiré ces dernières années. Rester dans une idée de prospective, à travers des images qui, d’une manière ou d’une autre, ont nourri le désir et les fantasmes d’éventuels projets à venir.

C’est la section “Cinéma d’avant-garde” qui accueille cette programmation : vous sentez-vous lié à ce territoire, tant en tant que réalisateur qu’auparavant comme cinéphile et critique ?

Je suis opposé aux labels en général, et distinguer le cinéma d’avant-garde du cinéma “traditionnel” ou plus classiquement narratif, c’est enfermer les images dans un carcan inaccessible pour un public plus large. Cependant, il n’y a rien de moins élitiste que certains de ces films qui s’adressent aux émotions dans ce qu’elles ont de plus pur ou de plus onirique. Je suis sans doute un peu naïf, mais je suis persuadé qu’un film peut s’adresser à un maximum de spectateurs tout en travaillant des motifs qui seraient soi-disant la chasse gardée de l’avant garde ou de l’expérimental. De Stanley Kubrick qui, dans 2001, l’odyssée de l’espace, s’inspirait de cinéastes tels que Jordan Belson (dont je programme un des chefs-d’œuvre, Allures, lors de cette carte blanche) à Léos Carax qui, dans Holy Motors, s’associe, le temps d’une séquence inoubliable, à Jacques Perconte, les exemples de films à succès ouverts à des zones plastiques moins fréquentées, plus poétiques et branchées sur l’imaginaire ou l’inconscient, ne manquent pas.

Le problème, c’est que nous vivons à une époque où la moindre “incartade” esthétique est souvent perçue comme une trahison du scénario, ou du moins une digression. Et comme le scénario est roi, en France encore plus qu’ailleurs, ça coince... Alors que le cinéma qui m’excite réussit au contraire à transcender son récit et ses personnages via ses audaces formelles. Lorsque les affects ou les sensations d’un personnage sont organiquement liés à une idée de cinéma, de plan, de lumière, de montage, aussi “expérimentale” soit-elle, c’est là qu’un film devient proprement magique, qu’il rejoint son trouble originel, le désir informulable qui lui a donné naissance.

Le cycle se compose de six séances, en majeure partie thématiques sur un motif précis à chaque fois. Comment les avez-vous conçues et qu’est-ce qui a guidé le choix des œuvres retenues ?

Pour moi, cette programmation est un voyage. Un voyage sexué, étrange, pluriel, musical, peuplé de turbulences folles et de planètes rares. J’ai cherché à assembler des images comme je l’aurais fait pour le montage d’un film hybride, un trajet au long cours. Vers quelle destination ? Je l’ignore... Mais j’espère que ce voyage, au final, dessinera quelque chose de lumineux et de généreux. Un élan joyeux. Parce qu’on a tous besoin de cela dans cette époque terriblement noire. Nicole Brenez m’a proposé cette carte blanche il y a près de deux ans, et c’est quelque chose auquel je n’ai cessé de penser depuis. J’ai d’ailleurs souvent visionné des films dans l’optique de les projeter éventuellement à la Cinémathèque. C’est pour cela que 90% des œuvres que je montre ont été découvertes récemment, comme s’il fallait que l’émotion de la révélation reste vibrante pour pouvoir “contaminer” les spectateurs, les embarquer avec moi, dans mon propre plaisir.

Sur les courts métrages plus particulièrement, on retrouve des noms plus ou moins connus, quelle est votre “veille” sur ce territoire, comment voyez-vous ces films ?

Je vois beaucoup moins de courts métrages contemporains qu’avant, tout simplement parce que je me rends moins en festivals, à l’exception de quelques-uns comme Pantin dont j’aime beaucoup la programmation. Mais j’essaie malgré tout de suivre le travail de certains auteurs français qui sont devenus des camarades ou des amis : des gens de ma génération (Bertrand Mandico, Shanti Masud, Jean-Sébastien Chauvin, Caroline Deruas, Mati Diop, Frédéric Bayer Azem…) ou de la suivante (Inès Loizillon, Maxence Vassilyevitch, Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Luc Battiston…). Et certains d’entre eux m’orientent vers d’autres films, comme une grande famille créative, porteuse d’un maximum d’espoir, d’énergie et de bienveillance mutuelle.

C’est une programmation qui puise beaucoup dans le passé, mais je tenais à ce qu’elle se clôture par une soirée ancrée dans notre époque et la beauté qu’elle est parfois capable de générer, en résistance à ses propres ténèbres. C’est aussi dans cet esprit-là qu’avec Alain Garcia et Pierre-Édouard Dumora, deux amis artistes et cinéastes, nous avons créé les soirées “I’ve seen the future” et programmé les deux dernières soirées du cycle. Que les audaces et la poésie des anciens dialoguent avec celles de la jeunesse.

Pourriez-vous mettre en exergue un film en particulier parmi les titres choisis ?

Je ne souhaite pas en isoler un ou deux, car c’est cette idée d’association, de contamination qui prévaut lors de ces six séances. Le même film sera perçu différemment selon celui qui le précède ou / et lui succède. Cette carte blanche est avant tout un collage amoureux et sensitif, avec ce qu’il comporte de prises de risque. Je pense notamment à deux courts programmés à l’aveugle : Jerovi de José Rodriguez Soltero et Love Objects de Tom Chomont. Je rêvais de les voir et je pressens qu’ils trouveront une place belle et singulière parmi toutes ces images.

La dernière séance du 10 février 2017 se conclura avec votre dernier film, Les îles, qui est un court métrage de 23 minutes : avez-vous l’intention de revenir régulièrement à ce format entre deux longs ? Quel sera le prochain ?

Je n’ai aucune idée du prochain, mais je peux vous dire une chose : le tournage de ce court m’a sauvé. J’étais dans une période très dure, pétrie de doutes, pendant laquelle je ne parvenais pas à trouver le financement nécessaire à mon prochain long métrage, Un couteau dans le cœur. En tournant Les îles, tout s’est libéré. Grâce à une équipe et des acteurs magnifiques, j’ai repris confiance en moi, en mon travail. Et puis nous venons tout juste d’obtenir l’Avance sur recettes, qui était indispensable à la mise en chantier d’Un couteau dans le cœur : je vais pouvoir le tourner au printemps prochain. J’ai plus que jamais la certitude qu’il faut tourner le plus souvent possible, peu importe que les formats soient courts ou longs. Au-delà des angoisses qu’il génère, chaque film est une respiration et une joie.

 

Propos recueillis par Christophe Chauville

 

Tout le détail de la carte blanche à Yann Gonzalez, en particulier les dates, horaires et fiches techniques des films présentés, est disponible sur le site de la Cinémathèque française.