En salles 31/10/2018

Rencontre avec Michel Ocelot

La star des vacances de Toussaint, c’est la petite Dilili ! Ses trépidantes aventures à travers les rues de Paris nous donnent l’occasion de rendre hommage à son “papa”, Michel Ocelot, en mettant en ligne cette semaine trois de ses petites perles de format court. Il nous a en outre accordé un entretien, dans le cadre justement très Belle-Époque de la Brasserie Galopin, à deux pas de la Bourse.

À l'heure où nos abonnés peuvent découvrir sur notre site plusieurs de vos courts métrages (Les 3 inventeurs, La légende du pauvre bossu et Bergère qui danse), quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce format ?

Le court métrage, c’est pour moi un passé dans lequel je me trouvais très bien, sauf que je n’en faisais pas assez à mon goût. Mais ce format est celui qui correspond en fait à la “vraie longueur” de l’animation. Ce sont des bijoux, des œuvres très contrôlées, tout ça marche très bien. Et d’ailleurs, j’en ferai d’autres à l’avenir...

Quelles choses n’aviez-vous, pour Dilili à Paris, encore jamais faites dans votre ample carrière ?

La principale nouveauté, c’est d’avoir conçu des décors sur la base de photos, c’était une première pour moi. Mais c’était aussi une évidence, car je voulais avant tout célébrer Paris, qui est parfaite telle qu’elle est. J’ai donc photographié toute la capitale, dont ses “grandes vedettes” de façon systématique. Et puis, il y a des choses qu’il est impossible de refaire : le “foyer doré” de l’Opéra n’a pas à être reconstitué avec une palette graphique, car le vrai est inégalable ! Idem pour le lit “Art nouveau” dont j’ai fait celui de Sarah Bernhardt, aussi magnifique qu’audacieux, avec ses incrustations de bois et de nacre, que j’ai préféré photographier.
Outre ce travail spécifique sur les décors, j’ai également eu le sentiment d’innover sur la réalité des personnages, puisqu’à part le duo de héros, Dilili et Orel, le livreur, presque tous les autres sont des figures historiques et c’est la première fois que j’entreprends un film qui l’est autant, même si chacun de mes films est toujours très documenté.

C’était déjà le cas des 3 inventeurs, dès 1979...

Oui, on peut y apercevoir les silhouettes de Lavoisier et de son épouse, le premier ballon des frères Robert, qui a été “massacré” par des paysans, la machine de Thimonnier ou le métier à tisser de Jacquard vandalisé par des ouvriers. Il est aussi question du bannissement de l’inventeur de la machine à vapeur, Denis Papin, par Louis XIV parce qu’il était protestant. Il a d’ailleurs emmené son invention en Allemagne et y a créé le premier bateau à moteur, qui a été détruit à Kiel pendant la nuit précédant son lancement, poussant l’inventeur à fuir à nouveau, vers l’Angleterre... Mais beaucoup de gens sont morts sur les bûchers et tout ce que je montre est beaucoup plus sérieux que vous ne le pensez !

Depuis ce tout premier film jusqu’à Dilili..., vous avez régulièrement convoqué les nouvelles technologies, mais en laissant la primeur au dessin “artisanal”...

Les nouvelles technologies, en effet, je les utilise beaucoup. Par exemple, les photos de Dilili... sont évidemment retouchées, afin de supprimer toutes les marques contemporaines. Ensuite, tous les personnages importants sont en 3D et si les figurants sont en partie en 2D, c’est toujours de l’informatique. C’est un film complètement numérique, mais le dessin reste le dessin. Je n’aime pas la 3D lorsqu’elle a un rendu réaliste, c’est quelque chose qui me déplaît.

Comment avez-vous réagi en voyant le motif des violences faites aux femmes faire irruption au premier plan de l’actualité, autour du mouvement #MeToo notamment ?

Tout était déjà complètement écrit bien avant ! Le contexte n’a donc influencé ni dans un sens ni dans un autre, d’autant que vous savez qu’en animation, au bout d’un temps on n’a plus le temps de changer quoi que ce soit, car ça coûte trop cher.
J’avais abordé le thème du féminisme dès Les filles de l’égalité, qui était juste une minute, assez cruelle, car c’était en fait une fausse égalité... Ce film n’est plus visible nulle part, mais j’ai des velléités de faire un “spectacle de courts métrages” qui s’appellerait Petits films pour les grands et qui surprendrait mon public, comprenant ce film et d’autres, anciens et peu connus, comme Les 4 vœux, qui ne s’adresse pas du tout aux enfants. Et je ferais, pour les accompagner, tous les courts métrages que j’ai eu envie de faire au cours de ma vie.

Serait-ce aussi pour retrouver plus de liberté ?

En fait, je me rends compte que faire une heure quinze de courts métrages est finalement plus onéreux que l’équivalent en long métrage... Car il faut tout remettre en marche à chaque nouveau film, où j’ai l’envie de tout changer, ce qui est plus long et donc plus cher. En plus, j’aurais dû faire certains films sur le moment, quand le sujet m’intéressait encore suffisamment pour y accorder autant de temps de ma vie. Je pense donc plutôt à devenir réalisateur “comme tout le monde”, sans vouloir tout faire... Être juste l’auteur du scénario et le réalisateur, alors que d’autres, autour de moi, feraient le story-board, les décors, les personnages, etc. Je n’ai jamais procédé de cette façon et ce serait une manière de le faire joliment et de rester juste. J’imagine une sortie au cinéma de deux moyens métrages, à savoir deux histoires de 20 ou 30 minutes que j’ai écrites très vite en sortant de Dilili... et que j’ai envie de tourner tout de suite, accompagnées d’un film plus court. Et si on me dit que le moyen métrage est un format qui se vend mal, je m’en fous ! 

La musique tient à nouveau un rôle majeur dans ce film. Quelle est votre démarche en la matière ?

J’avais déjà travaillé avec Gabriel Yared sur Azur et Asmar et je l’ai contacté très tôt, pour qu’il ait le temps d’y penser. Souvent, on ne fait appel au compositeur que lorsque le film est terminé et c’est une erreur, je l’ai pour ma part sollicité en lui confiant le scénario avant même de commencer le film. Il a donc pu s’y pencher très en amont et nous avons décidé ensemble des musiques nécessaires. Tout ce qui est chant et danse a été enregistré avant l’animation, car celle-ci suit la parole et non l’inverse. Une fois le film achevé, Gabriel est revenu et a travaillé sur un montage définitif, même si l’image ne l’était pas encore.
Quant au personnage de la cantatrice, je n’avais pas pensé spécialement à Nathalie Dessay, mais elle avait déjà travaillé avec le producteur du film, Nord-Ouest Films, et le lien a ainsi été noué. Elle a donc accepté de jouer Emma Calvé, mais en nous prévenant tout de suite qu’elle ne chanterait pas Carmen ! Ça commençait mal (rires)...

Emma Calvé est l’un des personnages ayant réellement existé qui apparaît dans le film, dans un rôle important, mais il y en a une multitude d’autres, au point qu’il semble difficile de tous les identifier !

C’est même impossible, d’autant qu’on ne connaît pas la tête de certains ! Par exemple, à un moment donné, on voit un jeune chevelu, qui est en réalité Antoine Bourdelle. C’était alors le jeune amoureux d’Isadora Duncan, qu’il a sculptée, mais personne ne le visualise dans sa jeunesse, mais seulement en “barbu de 1900” ressemblant aux autres... Pareil pour Matisse, que l’on n’identifie pas dans ses jeunes années. À l’inverse, les images de Sarah Bernhardt, de Marie Curie ou de Toulouse-Lautrec nous sont familières...

Quel a été votre rapport aux Mystères de Paris d’Eugène Sue ?

Je ne l’avais jamais lu ! Et c’est toujours le cas, j’ai refermé le livre, car c’est trop moche, je ne suis pas sadomasochiste… En revanche, l’idée de balader mes personnages partout dans Paris me plaisait... Ce qui m’intéresse surtout, si je peux y parvenir grâce à mes films, c’est d’apporter de la décontraction et de l’entente entre les gens. Je me sentirais alors pleinement satisfait...
J’espère en tout cas que le film marchera, car j’ai eu finalement du mal à le monter, il m’a fallu six ans à partir du moment où j’en ai eu l’idée. Et dans l’idéal, j’aimerais pouvoir faire, comme Woody Allen, un film tous les ans !

Propos recueillis par Christophe Chauville