En salles 21/04/2023

Portrait d’une jeunesse en feu : Nos cérémonies de Simon Rieth

Nos cérémonies a connu un beau trajet en festivals depuis sa présentation à la Semaine de la critique en 2022 et se verra distribué le 3 mai par The Jokers. L’occasion de revenir sur le parcours en courts de son réalisateur, également singulier et qui inclut notamment Saint-Jean et Sans amour

Expérience captivante et charnelle, réussite irradiante : longtemps les frissons nés de Nos cérémonies nous parcourront l’échine. À moins de trente ans, Simon Rieth propose un premier long métrage de fiction éblouissant, où les pouvoirs mêlés du naturalisme et de l’imagination s’entrechoquent en un alliage fécond, fait si rare dans le cinéma français contemporain. C’est l’histoire de deux frères – Tony et Noé – et de Cassandre, une histoire de village de province, d’étés, d’amours, de falaises, et de sentiments d’absolu.

Dans ses thématiques comme dans ses choix formels, Nos cérémonies prolonge une série de fidélités qui irriguent l’œuvre de courts métrages (au nombre de six, tout de même) du réalisateur, issu du Master de cinéma de l’Université Paris 1. Un ancrage dans le coin de Royan, territoire de pins et plages d’où il est originaire, et dans un milieu de petite classe moyenne : les jalons réalistes de son récit sont posés avec détermination. Au bord des roches escarpées de la côte atlantique, les enfants deviennent des adolescents en proie au romantisme et aux angoisses dévorantes. La caméra de Marine Atlan capte les joies rituelles des groupes d’ami(e)s dans de longues séquences fleurant le documentaire, qui rappellent le Kéchiche de La vie d’Adèle ou de Mekhtoub, my love.

C’est dans cette structure posée avec une grande intelligence que peut frapper le surgissement du surnaturel. Un événement terrible puis miraculeux advient dans l’enfance des deux frères. Il provoque une vision fulgurante de cinéma et centre le récit autour d’une fusion fraternelle extrême. Précisément, la réussite du film tient à un juste équilibre de maîtrise et d’abandon, à l’image du casting sauvage qui a permis cette trouvaille de comédiens, Simon et Raymond Baur, frères à la ville et, comble de hasard providentiel, pratiquants d’arts martiaux. La fraternité est un thème en fil rouge de l’œuvre de Simon Rieth ; Hugo Rieth, son petit frère, est présent dans presque tous ses courts métrages.

On pense au Cronenberg de Faux-semblants (1988), où Jeremy Irons incarne deux frères jumeaux se livrant à des rapports de force destructeurs. S’il explore aussi le sang, Simon Rieth s’éloigne du caractère clinique de cette dissection pour pousser, de concert avec ceux de la couleur dans l’image, les curseurs de l’émotion vers leur maximum. Les corps baignés de soleil évoquent ceux de Claire Denis dans Beau travail (2000) et le gore révèle les blessures, les présentant apparentes, pour faire la part belle aux affects, comme le vecteur formel de leur sublimation.

Le fantastique était là, pour Simon Rieth, dès Feu mes frères, premier film présenté à Côté court en 2016 et repéré par la productrice Inès Daïen Dasi, qui ne l’a plus quitté depuis. Sans déflorer le mystère, disons simplement qu’il est ici question de phénix, de frôler la mort et de revenir de justesse. Des passages à travers le miroir qui renvoient à David Lynch dans leur mélange de tendresse et de bizarrerie. Adresser ainsi la part de mythologie chez des personnages peints de façon si soigneusement réaliste, c’est rendre ou redistribuer une dimension épique et intemporelle à chacun de nous, spectateurs.

Ainsi, la tragédie semble s’être imposée à Simon Rieth comme une langue instinctive qui se déploie pleinement dans cette outrance permise par le cinéma de genre. Il y a du politique dans cette façon de déplier les intériorités, de nous reconnecter le temps du film au charnel étouffé par les partitions balisées du présent. On a vu apparaître à plusieurs reprises dans les manifestations du printemps 2023 la pancarte “Portrait d’une jeunesse en feu” et Simon Rieth peut s’inscrire sous cette bannière. En convoquant le merveilleux, les blessures, la douleur, les émotions, il pratique ici le cinéma comme une cérémonie pour rappeler en nous les sujets sensibles.

Cloé Tralci

À lire aussi :

- Disco Boy de Giacomo Abbruzzese, également en salles à partir du 3 mai.

- Les pires, de Lise Akoka et Romanue Gueret, disponible en DVD.