En salles 23/02/2022

Pelechian monumental

Le cinéaste arménien Artavazd Pelechian a souvent intégré les pages de notre revue et bénéficie de l’admiration de nombre de ses pairs. Il tourne toujours avec parcimonie et sa dernière création, d’une durée de 62 minutes, est visible sur grand écran cette semaine.

Au-delà de sa durée dépassant tout juste l’heure de projection, La nature de Pelechian n’en est pas moins une œuvre imposante. Pas forcément besoin d’adopter les démarches fleuves d’un Lav Diaz ou d’un Wang Bing, par exemple, pour frapper l’œil et l’esprit du spectateur.

C’est ce à quoi parvient avec force et évidence ce cinéaste aussi culte pour les cinéphiles que toujours confidentiel auprès du grand public, à travers un film de found footage réalisé dans le cadre d’une exposition éponyme qui avait investi la Fondation Cartier pour l’Art contemporain, à Paris, en 2020. L’année des confinements, de la fermeture des lieux culturels, et d’autres chats à fouetter dans nos têtes, autrement dit.

Excellente initiative, donc, que celle des Films du Camélia, distributeur spécialisé dans la réédition de patrimoine, de proposer dans les salles La nature à partir de ce 23 février 2022. Le choix artistique initial est de montrer la puissance d’événements naturels comme les tornades, séismes, avalanches, tsunamis, éruptions volcaniques, par un montage de séquences glanées ici ou là, notamment dans des archives du type National Geographic, sur une bande-son évidemment soignée.

Celle -ci associe avec maestria les sons directs, les bruits assourdissants des catastrophes et de la “grande musique” replaçant les phénomènes à leur hauteur véritable. Pas la nôtre, ce que l’on oublie en permanence ou presque, qui n’est que celle de fourmis vite balayées (voir certains plans liés au tsunami de 2004, qui font encore froid dans le dos, sans les moindres effets spéciaux).

Le montage alterne ces images de bruit et de fureur avec d’autres, plus calmes et apaisées, célébrant la beauté du monde, et nous laissant entendre combien cette planète si malmenée continue de choisir son tempo et que l’homme n’a aucunement la main, quoiqu’il aggrave les choses continuellement en fragilisant leur ordre global par ses déraisonnables activités déréglant le climat (voir les pans d’icebergs s’effondrant dans la mer, les glissements de terrain inéluctables, les ouragans dévastateurs, etc.).

L’émotion ressentie devant La nature, qui coupe souvent le souffle, littéralement, est différente de celle d’œuvres plus éloignées dans le temps, scandant les décennies depuis plus d’un demi-siècle (Nous en 1969, Les saisons en 1975, Notre siècle en 1982, Fin et Vie au début des années 1990 – voir notamment les numéros 12 et 21 de Bref), mais l’époque a changé, les préoccupations environnementales sont désormais d’une urgence absolue et le cinéma de Pelechian résonne d’autant plus. Il rejoint en tout cas une fois de plus son credo d’être comme un langage commun, “babélien” et compréhensible de tous. Puissions-nous être les plus nombreux possible à découvrir son film (à Paris, c’est au Christine Cinéma Club que ça se passe)…

Christophe Chauville

À lire aussi :

- Un livre sur Artavazd Pelechian, paru en 2016.

- Un texte d’Émile Breton sur Les saisons.