En salles 22/02/2019

Mon père, cet absent

Sorti cette semaine, le film documentaire “Rencontrer mon père” d’Alassane Diago, coproduit par Les films d’ici et Les films Hatari, est à la fois un bel exercice de mise en scène et un émouvant cheminement intime.

Le jeune cinéaste sénégalais Alassane Diago, dont la vocation a été encouragée par Chantal Richard (la réalisatrice de Charles Péguy au lavomatic, notamment), avait consacré un premier film documentaire à son parcours personnel avec Les larmes de l'émigration en 2010. Il y évoquait son père parti à l'étranger et les abandonnant, sa mère et lui, sans plus donner aucune nouvelle, ni envoyer le moindre dernier, pendant vingt ans. Le dit paternel avait vu ce film à la télévision gabonaise et s'en était ému, sinon indigné, ce qui a conduit le réalisateur à poursuivre dans cette veine intimiste en filmant dans Rencontrer mon père une sorte de journal de son voyage, nécessaire et inévitable, vers cet omniprésent absent.

L'enjeu est simple : faire sa connaissance, parler avec lui, écouter ses explications et/ou justifications, lui adresser des reproches par moment. Et découvrir son cadre de vie – on n'ose écrire que c'est sa “seconde”, puisque la première a si peu compté – et partager des instants inattendus avec de jeunes frères et sœurs exprimant paradoxalement un sentiment de solitude semblable aux côtés de ce père distant par nature, quand bien même on le côtoirait au quotidien. Pourtant, ce qui pourrait apparaître comme un portrait à charges se nuance, l'hostilité de celui qui tient la caméra s'adoucit, de possibles pardons se précisent peu à peu... Et le parti pris de faire durer réellement certaines séquences, notamment les plans sur celui qui est le vrai sujet du film, permet l'émergence d'une complexité. Ces séquences peuvent s'étaler sur un quart d'heure ou même davantage, conservant les silences, les instants suspendus, les tentatives de défense souvent maladroites. Les limites de l'argumentation du jeune homme sont mêmes conservées, de manière frontale : il convoque, comme à cours d'arguments, l'Islam pour piquer au vif son père et lui asséner qu'un bon Musulman doit prendre soin de ses enfants, tant d'un point de vue matériel qu'éducatif. Mais la religion n'a rien à voir là-dedans : tout père se donne naturellement une telle mission, fût-il athée, il n'y a pas l'ombre d'un doute. Reste que la scène finale – avec les mouvements des personnages à l'intérieur du cadre, alors que le fils retrouvé s'apprête à repartir – est à la fois déchirante et réconfortante. L'humanité naît du plan même ; la mise en scène de cinéma conserve tout son pouvoir, notamment dans une démarche documentaire d'auteur, c'est une excellente nouvelle...

Christophe Chauville