En salles 21/07/2020

“Madre” en long, version courte incluse

Décalée pour cause de crise sanitaire en avril, la sortie de “Madre” de Rodrigo Sorogoyen survient finalement ce 22 juillet. Le réalisateur espagnol y reprend son court métrage du même titre, l’intrigue prenant place dix ans plus tard.

Madre de Rodrigo Sorogoyen fut donc tout d'abord un court métrage, d'une durée de 18 minutes et datant de 2017, donc postérieur aux premiers longs métrages du réalisateur madrilène (Stockholm en 2013, resté inédit en salles en France, puis le poisseux Que dios nos perdone en 2016). Le film suivait un moment de basculement, sur un principe de plan-séquence assez étourdissant, entre les pièces d'une maison où une mère recevait un coup de téléphone de son fils de six ans, en vacances en France avec son père, qui se perdait dans un endroit indéterminé et se voyait manifestement kidnappé par un inconnu. La tension montait au fur et à mesure de l'affolement – effroyablement légitime – de la mère impuissante, avec un suspense savamment entretenu (la batterie du mobile faiblissant), comme pas mal de représentants de la nouvelles école ibérique savent parfaitement le faire, et Sorogoyen (qui n'a pas encore quarante ans) plutôt mieux qu'un autre. 

Le succès du film fut éblouissant (Goya du meilleur court métrage, nomination aux Oscars, 70 prix en festivals à travers le monde etc.) et Madre est devenu un long métrage, dont la première partie est constituée du court, repris intégralement, comme un prologue laissant place à l'“après”, une décennie s'étant écoulée pour la mère dévastée, Elena (à nouveau jouée, bien sûr, par Marta Nieto), depuis la disparition de son fils. S'étant séparée du père de l'enfant, elle est venue s'installer sur les lieux mêmes de la disparition, sur la côte landaise (le film a du reste été soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine), persuadée de pouvoir retomber sur celui qui si cruellement manque à sa vie, devenu adolescent. Et ce jeune homme, prénommé Jean, en vacances avec sa famille ne pourrait-il pas justement être l'omniprésent absent ?

En réalité, l'enjeu du film ne se concentre nullement sur ce faux espoir : Elena, comme le spectateur, sait vite que cet adolescent français, qui a de vrais parents (joués par Frédéric Pierrot et Anne Consigny), n'est pas Iván à seize ans. C'est juste le portrait d'une femme, marquée au plus profond de son être et qui a tenté de survivre et se reconstruire après l'indicible, qui est au final brossé, évitant de la faire basculer dans la folie, mais n'escamotant pas l'étrangeté de certaines de ses réactions, parfois socialement peu “correctes”. En explorant la relation entre Jean et cette femme plus âgée qui s'intéresse de près à lui, ce qui implique de marcher en funambule sur la corde d'une relation amoureuse possible (Le souffle au cœur de Louis Malle est d'ailleurs une référence avouée de Sorogoyen). La forme même du film trace la rupture entre le court et le long, à la manière de ce qui a fractionné la vie de son héroïne de façon irrémédiable : au plan-séquence du court succède un montage vif, rapide, tranché, pour une nouvelle facette de la riche personnalité prise par ce réalisateur déjà central dans le paysage du cinéma espagnol, après le brillant El Reino il y a deux ans. 

Christophe Chauville

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